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La surpêche favoriserait la piraterie

Mercredi 4 avril 2012

Désormais omniprésents dans les eaux territoriales sénégalaises et somaliennes,
les bateaux européens, chinois et russes contribuent gravement à la dégradation
des ressources halieutiques dans ces zones

C’est ce qu’affirme notre confrère britannique du Guardian John Vidal, qui est allé enquêter en Somalie et en Éthiopie aux frais de Greenpeace. Le ressentiment envers les pêcheurs européens, chinois et russes est très fort dans ces deux pays…


Tout le monde en convient désormais : dégradation des ressources halieutiques dans leurs eaux territoriales oblige – celle-ci s’expliquant essentiellement par la surpêche -, un nombre croissant de pêcheurs européens, chinois et russes font aujourd’hui leur « marché » au large des côtes africaines. Un phénomène qui n’est bien sûr pas sans conséquence sur l’état des effectifs de poissons dans ces eaux, donc de l’écosystème marin dans son ensemble, sachant que de nombreux villages côtiers, au Sénégal, en Mauritanie et en Somalie notamment, en dépendent directement.

Journaliste somalien basé au Kenya et dont les assertions, qui remontent à 2009, ont été reprises par le quotidien britannique, Mohamed Abshir Waldo situe l’origine de la piraterie moderne dans son pays à 1992, soit un an après la chute du régime de Siyaad Barre. Celle-ci aurait profondément et durablement désorganisé la police navale et la marine somalienne. « Après les graves sécheresses de 1974 et 1986, des dizaines de milliers de nomades dont le cheptel avait été décimé se sont implantés dans des villages situés le long des côtes somaliennes. Ils y ont développé d’importantes communautés de pêche dont la subsistance est tributaire des ressources côtières. Des chalutiers étrangers de pêche illégale ont commencé à faire leur apparition au début de la guerre civile, dès 1991-1992, et ont empiété sur les plates-bandes des pêcheurs locaux », a poursuivi M. Waldo, selon lequel ces derniers ont ensuite pris les armes pour se muer en garde-côtes et défendre leur pré carré.

Une thèse à laquelle souscrit Abdirahman Mohamed Farole, président du Puntland, une région autonome du nord-est du pays, également cité par M. Vidal et pour qui « la violation des eaux somaliennes par les chalutiers étrangers a déclenché une réaction de la résistance armée par les pêcheurs somaliens ». Et d’ajouter : « Au fil du temps, le paiement d’une rançon aux pêcheurs pauvres du pays par les chalutiers étrangers a encouragé l’escalade des attaques de pirates. »


Inexorable ?
Le Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (RUSI), un think tank britannique, estime pour sa part que la piraterie dans les eaux territoriales somaliennes constitue rien de moins que « la plus grande menace maritime depuis la Deuxième Guerre Mondiale (!), avec des impacts bien au-delà des côtes somaliennes des points de vue humain, économique, géostratégique, naval et de la sécurité politique ». Quant à Jeylani Cheikh Abdi, un pêcheur cité par l’IRIN (Integrated Regional Information Networks) Africa originaire de Merca, ville portuaire située à une centaine de kilomètres au sud de Mogadiscio, la capitale, il résumait en 2006 : « (Les pêcheurs européens, chinois et russes) ne sont pas seulement en train de nous voler nos poissons. Ils sont également en train de nous empêcher de pêcher. Il est devenu normal de les voir sur une base quotidienne, à quelques kilomètres au large de nos côtes. » Six ans après, aucune amélioration n’a été constatée, au contraire.

Ibrahim Samb est l’un de ses compagnons d’infortune. Directeur du port de Joal, le plus important du pays, au sud-est de Dakar, il souligne de son côté que le nombre de captures dans les eaux territoriales sénégalaises a chuté de 75 % en l’espace de dix ans du fait de la présence accrue de navires étrangers. « En 2004, nous avions capturé deux cent vingt-mille tonnes de poissons. Désormais, nous n’en collectons plus que cent vingt-mille par an. C’est une situation catastrophique […] À ce rythme, il n’y aura plus de poissons dans dix ans », précise-t-il, interrogé par le Guardian. Car à l’opposé du continent aussi, les stocks s’effondrent et les abordages sont en constante augmentation. Deux réalités qui semblent intrinsèquement liées et s’expliquent aussi par le fait qu’au Sénégal, une personne sur cinq travaille dans l’industrie de la pêche. De même, un million de personnes dépendent du poisson comme principale source de nourriture.

Largement de quoi justifier la mise en place d’une législation stricte qui punirait les dérives actuels et réduirait de facto le nombre d’actes de piraterie. C’est hélas loin d’être gagné, nombre de politiciens locaux n’hésitant pas à vendre des licences illégales à des vaisseaux pirates qui, par réaction, contribuent eux aussi à l’érosion de la biodiversité marine…

Crédits photos : flickr – Sebastian Losada

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