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"La Somalie, d'un chaos à l'autre" soirée Arte

Publié le 21 mai 2011 par Geo-Ville-En-Guerre

Arte a proposé, le mardi 24 mai 2011 à partir de 20h40, une soirée consacrée à "La Somalie, d'un chaos à l'autre" (voir le site spécial consacré à cette soirée, avec des articles, la présentation des reportages, et quelques extraits).


Au programme :
- Toxic Somalia, de Paul Moreira, 2010 (diffusé à 20h40).
- Mogadiscio, capitale fantôme, de Thomas Dandois, 2010 (diffusé à 21h35).


Présentation de Toxic Somalia :
Déverser une tonne de déchets toxiques le long des côtes somaliennes ne coûte que 2,50 dollars. C'est la décharge la moins chère du monde, et une source de bénéfices confortables pour les Occidentaux. Mais ces polluants anéantissent les ressources maritimes, provoquent des malformations génétiques et des cancers chez les enfants... Afin de protéger leurs côtes et tout simplement de survivre, les Somaliens ont abandonné la pêche et se sont tournés vers la piraterie. Parallèlement, les réseaux mafieux responsables des trafics d'armes et de déchets prospèrent...

ZONE INTERDITE
Qui déverse ces déchets ? Qui en tire profit ? Deux journalistes italiens ont déjà perdu la vie en 1994 pour avoir posé ces questions. Ce documentaire ouvre à nouveau l'enquête, qui nous emmène du côté de la mafia italienne, des pirates somaliens et des trafics entourant la gestion des déchets nucléaires. Paul Moreira s'est notamment rendu à Hobyo, une ville contrôlée par les pirates, et à Mogadiscio, où kidnappings et attentats sont fréquents. Les témoignages qu'il a recueillis sont exceptionnels.




Présentation de Mogadiscio, capitale fantôme :
Passage stratégique pour le commerce mondial, le golfe d'Aden est devenu le sanctuaire des pirates, qui réclament des rançons de plus en plus exorbitantes. À Mogadiscio, les Shebab contrôlent une grande partie de la capitale pendant que le gouvernement officiel vit replié sur un minuscule territoire. Attentats et fusillades s'ajoutent à la famine pour rendre le quotidien impossible : fuyant la guerre civile, les Somaliens se réfugient en masse au Kenya, ce qui fragilise encore davantage la région. Du côté des organisations humanitaires, on juge la Somalie "impraticable"...

PERLE NOIRE
De la chute du dictateur Siad Barré à l'actuel conflit entre le gouvernement de transition et les milices fondamentalistes en passant par les interventions internationales des années 1990 (opération "Restore hope") et la paix éphémère des tribunaux islamiques dans les années 2000, le pays semble ne jamais sortir du chaos. Thomas Dandois est allé à la rencontre des miliciens, des civils et des députés somaliens pour tenter de comprendre comment celle que l'on surnommait la "Perle blanche de l'océan Indien" est devenue un pays dévasté.

VIDEO

Extrait de "Mogadiscio, capitale fantôme"diffusé sur Arte le mardi 24 mai 2011 à partir de 21h35

En attendant de découvrir ces reportages,voici une sélection de ressources en lignepour découvrir les enjeux de la Somalie.

Pour aller plus loin sur la situation actuelle en Somalie :

Des articles de fond sur la Somalie :


Des cartes sur la Somalie et la Corne de l'Afrique :

La Somalie : clans, éleveurs, agriculteurs et divisions territoriales
Source : Alain Gascon, "La Somalie en mauvais Etat", Echogéo, Sur le vif 2008.

1992/1993 - Guerre civile en Somalie, lutter pour survivre

Le conflit qui secoue la Somalie depuis 1991 dévaste tout sur son passage : les clans s’affrontent dans un climat d’extrême violence et l’insécurité règne. Au même moment, la population doit faire face à une période de famine qui fait suite à une sécheresse exceptionnelle. La violence et la famine forcent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à fuir vers les camps de réfugiés en Somalie et au Kenya.

Une situation catastrophique à laquelle MSF répond difficilement en raison du niveau très élevé de l’insécurité pour les locaux comme pour les expatriés. Les coups de feu sont monnaie courante, tout le monde possède une arme et MSF doit travailler sous la protection des militaires des Nations Unies.

Déploiement d’urgence : un engagement sans précédent

MSF est présente dans les camps de Mandera (dans le triangle entre l’Ethiopie, la Somalie et le Kenya), de El Wak et de Dabaad au Kenya pour soigner plus de 40.000 réfugiés et à Kismayo et sa région pour réhabiliter l’hôpital et implanter des centres de nutrition.

Dans les camps de réfugiés, MSF prend en charge les enfants malnutris dans ses centres de nutrition, effectue des campagnes de vaccination, de dépistage et de prévention d’épidémies, le traitement des maladies infectieuses et gère également l’approvisionnement en eau et le système sanitaire.

A Kismayo, MSF Luxembourg s’occupe de la réhabilitation de l’hôpital, service par service, et forme le personnel local. Une dizaine d’expatriés part avec MSF Luxembourg pour assurer le fonctionnement d’un service de chirurgie de guerre, équiper et faire fonctionner l’hôpital. Il s’agit du plus grand engagement de MSF Luxembourg depuis sa création : plusieurs chirurgiens, anesthésistes et logisticiens se relaient pour des missions courtes d’un à six mois.

Six centres de nutrition prennent en charge des milliers d’enfants malnutris.

Les combats importants autour de l’hôpital de Kismayo, les menaces de kidnapping et le manque de protection des casques bleus poussent MSF à suspendre le programme nutritionnel en 1993.

Dans le conflit Somalien

Comme dans le conflit Erythréo-Ethiopien, nous allons démontrer dans ce paragraphe, l'intervention de l'ONU, de l'UA, ainsi que de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD).

1. L'ONU dans le conflit Somalien


L'ONU est intervenue à la suite de l'opération « Restore Hope » entreprise par les Américains avec la participation d'autres pays comme le Canada, la France, le Pakistan en 1992. C'est l'opération des Nations Unies en Somalie (ONUSOM), qui sera remplacée par une autre opération du même genre , en 1993, appelée ONUSOM II119(*).

A. L'ONUSOM I


L'ONUSOM I a été créée le 24 avril 1992 par la résolution 751 du conseil de sécurité. Elle avait pour mandat :

a. De surveiller le respect du cessez-le-feu à Mogadiscio, capitale de la somalie ;

b. Assurer la protection du personnel, des installations et du matériel de l'ONU dans les ports et aéroports à Mogadiscio ; et

c. Escorter l'acheminement de l'aide humanitaire jusqu'aux centres de distribution de la capitale et de ses environs immédiats.

En Août 1992, le mandat et l'effectif d'ONUSOM ont été élargis de manière à lui permettre de protéger les convois humanitaires et les centres de distribution dans l'ensemble de la Somalie.

En Décembre 1992, après une nouvelle détérioration de la situation en Somalie, le Conseil de sécurité a autorisé les Etats membres de créer la force d'intervention unifiée (UNITAF) afin de garantir un environnement sûr pour l'acheminement de l'assistance humanitaire. La force a travaillé en coordination avec ONUSOM I pour assurer la sécurité des principales zones habitées et faire en sorte que l'aide humanitaire soit acheminée et distribuée120(*).

L'ONUSOM I avait pour Représentants spéciaux : Mohamed SAHNOUN (1992), Ismat KITTANI (1992-1993), Jonathan HOWE (1993) ; et les chefs des observateurs militaires : Général Ismiaz SHAHEEN. Elle avait, enfin, comme effectif : 4.469 membres du personnel, dont 50 observateurs militaires, 3.500 personnes chargées de la sécurité, 719 personnes chargées du soutien logistique et environ 200 membres du personnel civil international. Le coût de la Mission avait comme montant net de 42,9 millions de dollars.

B. L'ONUSOM II


L'ONUSOM II avait pour Mission de préparer les activités de la force d'intervention unifiée, force multinationale organisée et dirigée par les États-Unis qui, en Décembre 1992, avait été autorisée à employer « tous les moyens nécessaire » pour restaurer les conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie121(*).

Le mandat de l'ONUSOM II consistait à prendre les dispositions appropriées, y compris des mesures de coercition, pour instaurer dans toute la Somalie des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaires.

A cette fin, ONUSOM s'est efforcée de terminer, grâce au désarmement et à la réconciliation, la tache commencée par la force d'intervention unifiée en vue du rétablissement de la paix, de la stabilité et de l'ordre public. Elle était chargée notamment de contrôler la cessation des hostilités, de prévenir la reprise de la violence, de saisir les armes de petit calibre non autorisées, d'assurer la sécurité dans les ports, aéroports et sur les voies de communication nécessaires pour l'acheminement de l'assistance humanitaire, de poursuivre le déminage et de faciliter le rapatriement des réfugiés en Somalie.

L'ONUSOM II a également été chargée d'aider le peuple Somalien à reconstruire l'économie et la vie sociale du pays, à remettre en état les structures institutionnelles, à assurer la réconciliation politique nationale, à reconstituer un Etat Somalien fondé sur un régime démocratique et à réorganiser l'économie et l'infrastructure du pays.

En Février 2004, après plusieurs incidents violents et agression contre des soldats des nations unies, le conseil de sécurité a révisé le mandat d'ONUSOM II pour exclure l'utilisation des méthodes de coercition. ONUSOM II s'est retirée au début du mois de Mars 1995.

L'ONUSOM avait son quartier général à Mogadiscio, son effectif : 28.000 militaires et policiers ; également prévus 2.800 civils (personnel international et un agent local). Le coût de la mission s'élevait à 1,6 milliards de dollars.


* 120 Idem.

LE CONTEXTE SOMALIEN

Le présent chapitre porte sur le contexte politique et socioéconomique dans lequel le Groupement tactique du Régiment aéroporté du Canada (GTRAC) a exécuté sa mission en Somalie. Nous y décrivons la géographie, la culture et l'organisation sociopolitique de la région, ainsi que les événements importants qui ont mené à la guerre civile et à la chute du régime de Syad Barre. Nous y examinons également la situation qui régnait en Somalie au moment de l'intervention des Nations Unies et les conditions sociopolitiques qui existaient à Belet Uen lors du déploiement du GTRAC.
Il importe de comprendre le contexte somalien pour être en mesure d'évaluer si le Régiment aéroporté du Canada (RAC) et le GTRAC étaient aptes à se déployer en Afrique, ainsi que de déterminer leur état de préparation opérationnelle et l'à-propos de leur entraînement en vue de leur mission et, enfin, de vérifier si le renseignement militaire canadien était adéquat. Les données relatives à la société somalienne facilitent l'évaluation des décisions et des mesures prises dans le théâtre d'opérations, et aident à préciser dans quelle mesure les différences culturelles entre les membres du GTRAC1 et les Somaliens peuvent avoir influé sur la conduite des opérations.

PROFIL DE LA SOMALIE2

La Somalie occupe une position stratégique dans la Corne de l'Afrique. Outre ses liens avec d'autres pays africains, elle est étroitement liée par sa religion et son histoire au monde arabe et islamique, et est à la fois membre de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et de la Ligue arabe. Au moment de l'arrivée du GTRAC, la population de la Somalie s'élevait à environ six millions, y compris les réfugiés3.

Environnement


La Somalie est composée en grande partie de savanes desséchées où les ruisseaux ne coulent qu'après des chutes de pluie. La majeure partie du territoire est constituée de sol sablonneux ayant peu de valeur agricole; les rares terres arables, soit 33 p. 100 du territoire, se situent dans le plateau Haud. Des arbrisseaux dénudés, des broussailles et quelques pâturages forment la végétation typique d'une zone semi-aride. Les régions boisées longent les fleuves Shebeli et Djouba, qui constituent les seules voies de drainage. Entre ces deux fleuves se trouvent les terres les plus fertiles du pays et on s'y livre à l'agriculture et à l'élevage de bétail. Ailleurs, c'est l'élevage des moutons, des chèvres et des chameaux qui prédomine, et on note des établissements permanents largement isolés les uns des autres et qui sont construits autour de puits. Seulement 15 p. 100 de la population vit en zone urbaine4. Au moment de l'arrivée des FC en Somalie, on évaluait à environ 600 000 le nombre de citadins, dont quelque 350 000 vivaient à Mogadiscio, la capitale5. Les autres centres principaux sont Hargeysa, capitale de la région du Nord et Berbera et Kismayo, les principaux ports du Nord et du Sud.
Durant la plus grande partie de l'année, le climat est très chaud et humide avec des températures maximales quotidiennes fluctuant entre 17 et 45o C, pour une moyenne de 30 à 40o C. Dans le plateau septentrional, la saison la plus chaude s'étire de juin à septembre tandis que le long de la côte nord-est, ce sont octobre et novembre qui sont les mois les plus chauds. Les précipitations annuelles représentent moins de 500 mm dans la région désertique et entre 500 et 1 000 mm dans la région des steppes. Dans le Nord-Est, il y a deux saisons des pluies ou de mousson, l'une d'avril à juillet et l'autre d'octobre à novembre, au cours desquelles il y a souvent de fortes inondations qui rendent difficiles les déplacements à l'intérieur du pays. Durant les deux saisons sèches, où alternent des pluies intermittentes et des périodes chaudes et humides, les sécheresses sont monnaie courante.
Les vents peuvent presque atteindre la force d'un ouragan. Entre juin et septembre, les tourbillons de poussière et de sable peuvent rendre difficile la maintenance des véhicules et de l'équipement et nécessitent l'utilisation de carburants et de lubrifiants spéciaux. Le passage des véhicules crée d'énormes nuages de poussière, réduisant la visibilité à quelques mètres, ce qui complique les déplacements. Le sable irrite la peau et les yeux et met en danger les soldats séparés de leurs unités. Les conditions désertiques, la chaleur radiante, l'humidité et le vent imposent un stress climatique au corps humain.

Économie


L'économie somalienne découle de son climat semi-aride et d'un environnement caractérisé par des sécheresses fréquentes et des précipitations fortement localisées. Il y a des troupeaux de bétail, de chèvres et de moutons, mais être propriétaire de chameaux est considéré comme « la plus noble vocation que puisse avoir un Somalien »6. Même si, en raison de la rareté des ressources, il y a souvent des conflits au sujet des puits et des pâturages7, les Somaliens sont unis par les traditions de leur mode de vie pastoral.
Dans la Somalie moderne, la production économique se fonde principalement sur la pratique traditionnelle du nomadisme pastoral8, sauf dans le Sud, où les précipitations plus fortes et l'eau des fleuves permettent une exploitation mixte et l'agropastoralisme9. Il n'y a que de 1,3 à 3 p. 100 des terres somaliennes qui sont irriguées et cultivées, le reste servant aux pâturages10. Même si le bétail et les produits d'élevage représentent la majorité des exportations somaliennes, les bananes constituent la principale source de devises étrangères11. Les États arabes sont de gros importateurs de produits somaliens. Le long des fleuves Djouba et Shebeli, il y a des plantations de bananiers ainsi que d'importantes cultures de subsistance comme le maïs et le sorgho.
Après l'indépendance du pays, en 1960, la croissance économique n'a pu soutenir le rythme de croissance démographique causé par l'afflux de réfugiés12. Cela est attribuable à la forte dépendance du pays à l'égard de l'agriculture et de l'élevage, qui sont touchés par la sécheresse. La plus grande industrie de la Somalie est le conditionnement des produits agricoles13; à part cela, il y a peu de développement industriel. A l'exception de l'étain, les ressources minières du pays ne sont pas exploitées, quoique des entreprises internationales aient fait de la prospection pétrolière. Durant les années 80, des sécheresses catastrophiques, la guerre de l'Ogaden avec l'Éthiopie et la guerre civile qui a suivi ont précipité la ruine de l'économie. Dans les années 90, la Somalie était classée parmi les «pays les moins développés» par l'ONU14. Au moment de l'intervention onusienne, la dette extérieure se chiffrait à 1,9 milliard de dollars, et son remboursement représentait approximativement de 120 à 130 p. 100 des recettes d'exportation. De son côté, le taux d'inflation se situait à plus de 80 p. 10015.
Après la guerre civile, les villes situées entre l'Éthiopie et le port de Bosaso dans la région de Mudug ont connu une certaine recrudescence économique, tandis que la campagne environnante montrait les signes d'un grave effondrement16. Dans le Sud, la guerre entre clans a également fait péricliter l'économie. Dans les villes visitées par une équipe d'évaluation en septembre 199117, bon nombre des personnes actives sur la scène économique étaient des femmes, souvent séparées de leur mari ou veuves de guerre, qui se livraient à de petits commerces. Les emplois rémunérés par le gouvernement (dont bénéficiaient principalement les hommes) avaient disparu.

Culture et structure sociale


Les Somaliens18 descendent de gardiens de troupeaux qui se sont établis dans la Corne de l'Afrique il y a au moins deux millénaires. Les peuples couchitiques aborigènes se sont mélangés aux Arabes et aux Persans de la côte pour former, au VIIe siècle, une culture somalienne avec des traditions, une religion et une langue communes. La langue officielle du pays est le somali. On parle aussi l'arabe, l'anglais et l'italien dans les organismes gouvernementaux. Outre la langue, les Somaliens ont en commun la religion islamique, la plupart d'entre eux étant des musulmans sunnites. Il y a deux groupes principaux: les nomades (les Samales) et les cultivateurs (les Sabs). Ces groupes se subdivisent en familles claniques, puis en clans et en lignages.
Les familles claniques pastorales constituent près de 85 p. 100 de la population19. Les autres familles claniques du sud pratiquent le pastoralisme et l'agriculture mixtes20, et leur identité est davantage liée aux villages qu'elles habitent qu'aux clans auxquels elles appartiennent. Elles sont aussi plus faibles du point de vue politique que les clans pastoraux et leur statut social est inférieur. Ces collectivités agricoles forment une bonne partie de la population somalienne distincte sur les plans ethnique et culturel. Elles ne partagent pas les traditions guerrières des nomades, ne sont pas aussi fortement armées et n'ont jamais pris une part aussi active aux activités du gouvernement central. Leurs terres ayant été transformées en champ de bataille durant la guerre civile, ce sont elles qui ont le plus souffert de la famine subséquente.
Les familles claniques, dont la généalogie remonte 30 générations jusqu'à l'ancêtre commun, forment une fédération de groupes consanguins, mais elles fonctionnent rarement comme une unité. Les groupes consanguins moins importants comme le clan (qui remonte à 20 générations) ou les groupes unis par le lignage (de 6 à 10 générations)21 ont des intérêts communs et s'entraident mutuellement. Comme les Somaliens eux-mêmes l'expliquent, une personne peut résider en Europe, mais sa généalogie reste en terre somalienne. « De par sa généalogie, [...] chaque individu occupe une place précise dans la société [...] [et peut] [...] tracer les liens exacts qui l'unissent à chacun des autres membres22 ». D'après un document des Forces canadiennes, l'identité de chaque Somalien est liée à sa famille clanique et à sa région d 'origine. « La première chose qu'ils veulent savoir lorsqu'ils rencontrent quelqu'un, même s'il s'agit d'un étranger, c'est d'où il vient et à quel clan il appartient. »
Selon M. Kenneth Menkhaus, l'identité clanique est assez souple et complexe pour qu'un individu puisse adapter ses liens généalogiques aux besoins politiques du moment: « L'identité clanique peut être mise en valeur ou minimisée selon la situation. » Cela constitue « une importante source de frustration » pour les étrangers, particulièrement les militaires. L'identité clanique « encourage la formation d'unités politiques instables et très fluides, ce qui s'est révélé très frustrant pour les forces internationales et les diplomates civils étrangers qui participaient à l'intervention parce qu'ils avaient du mal à comprendre les unités politiques en Somalie [...] cette identité politique plutôt floue fait l'affaire des Somaliens [...] mais pas la nôtre et elle était source de malentendus ».
Une sous-unité importante sur le plan politique est le groupe dia d'un homme. Le dia ou prix du sang est normalement calculé en chameaux. Il s'agit « d'un petit groupe de lignages remontant quatre à huit générations jusqu'au fondateur commun, et comprenant de quelques centaines à quelques milliers d'hommes »23 Un groupe dia s'engage à venger toute injustice contre un de ses membres si l'on n'arrive pas à s'entendre sur un échange de chameaux, et à se défendre mutuellement par des moyens matériels ou violents lorsque des membres du groupe commettent une injustice24. Comme l'explique M. Menkhaus: « Cette pratique [...]permet aux clans de contrôler la violence et de mettre fin aux effusions de sang; elle aide aussi à décourager les actes de vengeance et les meurtres à caractère individuel [...] ». Les forces internationales devaient comprendre que le système de dia engendre un sentiment de culpabilité collective plutôt qu'individuelle; les soldats canadiens qui accrochaient des écriteaux au cou des voleurs risquaient d'humilier tout un clan au lieu de punir les quelques individus impliqués.
Les anciens du clan jouent un rôle crucial dans la médiation et le règlement des différends sur la base du droit coutumier somalien (xeer)25. Ce sont des experts reconnus dans la négociation et le règlement des conflits. Comme M. Menkhaus l'a expliqué : « Les unités militaires traitaient les différends comme des événements ponctuels. On faisait venir les anciens du clan qui s'assoyaient et faisaient la paix, avec un document pour le prouver, et on pensait alors que c'était la fin de l'histoire, que ce serait la paix et que tous s'en iraient mais ce n'était pas du tout le cas. Dans la culture politique somalienne, la gestion des différends est un processus continu. Le dialogue ne finit jamais, ils se rencontrent sans cesse, et il nous a fallu bien du temps pour le comprendre et pouvoir les aider à gérer leurs différends.» Les accords conclus sans la ratification du clan ne sont pas considérés comme légitimes et sont rarement respectés. Ainsi, les clans ne se sentaient pas liés par les résultats des conférences de paix tenues ailleurs (à Nairobi, Addis-Abeba ou Mogadiscio) qui n'ont pas été ratifiés par les populations locales.
Les liens de parenté se transmettent de père à enfants, un peu comme le nom de famille est transmis au Canada. Même après le mariage, les femmes continuent de faire partie du groupe de leur père et n'adoptent pas le nom de leur mari. Les liens du sang sont permanents et l'emportent sur les liens conjugaux que le divorce peut rompre. Les Somaliens se considèrent comme supérieurs aux non-Somaliens et aux étrangers et se méfient de ces derniers parce qu'ils ne sont pas liés par l'origine et la parenté somaliennes26. Les mariages avec des non-Somaliens sont découragés.
Selon la coutume somalienne, les femmes ont un statut social inférieur. Les deux sexes considèrent l'inégalité entre les sexes comme normale et naturelle. Les femmes s'inclinent devant les hommes et font une grande partie des durs travaux physiques. Les garçons et les hommes célibataires s'occupent des troupeaux de chameaux, tandis que les hommes mariés font du commerce, dégagent les puits et gèrent les chameaux. Seuls les hommes plus âgés ont le droit de vendre les biens familiaux. La sécurité des femmes dépend de leurs relations avec leur père, leur mari, leurs frères et leurs oncles. C'est aux hommes de la famille qu'il appartient de surveiller une femme qui quitte son mari.
Les relations claniques ont des effets à la fois unificateurs et diviseurs. D'après M. Menkhaus, les Somaliens cherchent d'abord à protéger les intérêts des membres de leur clan, même si cela nuit à d'autres Somaliens. Ceux d'entre eux qui étaient responsables des secours humanitaires étaient confrontés à des obligations contradictoires : d'une part, l'engagement de l'organisme international à assurer une distribution équitable des secours aux victimes de la famine; et d'autre part, les pressions exercées par le clan pour qu'ils respectent leurs obligations familiales en détournant des approvisionnements vers les membres de leur clan.
M. Menkhaus a résumé ce code d'éthique clanique en citant un proverbe somalien bien connu: «Mon cousin et moi contre le clan; mon frère et moi contre mon cousin; moi contre mon frère. » À l'intérieur de ce système, des alliances entre lignages peuvent être conclues à l'issue d'un conflit, et les membres de la famille sur lesquels quelqu'un peut compter dans une situation peuvent se tourner contre lui dans une autre.

CONTEXTE HISTORIQUE DU CONFLIT SOMALIEN


La société somalienne s'est bâtie autour de lignages élastiques hostiles à une autorité centralisée. Le mot Somali n'apparaît dans aucun document de langue arabe avant le XIVe siècle, mais certaines familles claniques sont mentionnées dans les documents dès le XIVe siècle27. Cela pourrait signifier que l'unité politique somalienne est assez récente, ou qu'il s'agit davantage d'un mythe que d'un fait historique--ce qui explique en partie les événements survenus depuis la Seconde Guerre mondiale

Le colonialisme

Dans le cadre des manuvres diplomatiques qui ont suivi la construction du canal de Suez, la Somalie a été arbitrairement divisée en sphères d'influence étrangère28. Des progressions agressives de l'Éthiopie dans la région d'Ogaden ont fait naître un mouvement nationaliste dirigé par le sage religieux Sayyid Mohammad Abdille Hasan. Dans un des derniers mouvements de résistance africains contre le colonialisme européen, il s'est opposé au pouvoir centralisé des « infidèles » sur les Somaliens, indépendants d'esprit29.
Sous l'autorité italienne, la population de la capitale, établie à Mogadiscio, a doublé entre 1930 et 1940. Les échanges et le commerce étaient sévèrement contrôlés par les fascistes italiens, qui ont interdit aux Somaliens de participer aux secteurs rentables de l'économie. Les villes ont pris de l'expansion, on a mis sur pied de grandes plantations, et créé des services essentiels de santé et d'éducation élémentaire. En 1930, l'administration rurale du régime colonial italien comprenait une gendarmerie rurale armée comptant 500 personnes, ainsi qu'une force policière de 1 475 Somaliens et de 85 officiers et subalternes italiens30. Sauf aux échelons les plus bas, aucun Somalien ne faisait partie du gouvernement colonial. En 1940, l'Italie s'est jointe aux puissances de l'Axe, et le Royaume-Uni et l'Italie se sont affrontés en Somalie. Après la défaite de l'Italie31, la Somalie a été placée sous l'administration militaire britannique jusqu'en 1949, les agents de police italiens ont été remplacés par des Somaliens et une école de police a été ouverte pour assurer la formation de Somaliens en vue de grades supérieurs. Les Britanniques ont favorisé l'autonomie gouvernementale de la Somalie et, en 1948, une partie de l'ouest du Somaliland britannique a été cédée à l'Éthiopie.

La tutelle des Nations Unies


À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Somalie a connu une prospérité et des progrès sous la tutelle des Nations Unies, qui a duré dix années, de 1950 à 1960. Des progrès ont été réalisés dans l'enseignement, la culture irriguée a été élargie et des puits ont été creusés. La culture de plantations de coton, de sucre et de bananes a été relancée. Les Somaliens ont réintégré les expatriés dans la fonction publique. La politique de parti (fortement influencée par le parentalisme) a été introduite dans les élections municipales en 1954, et les premières élections générales de l'assemblée législative, au suffrage universel réservé aux hommes, ont été tenues en 1956.

L'indépendance

Le 1er juillet 1960, la Somalie britannique s'est jointe à la Somalie italienne pour constituer la république indépendante de Somalie. Une démocratie constitutionnelle multipartite dotée d'une assemblée nationale de législateurs a été établie, mais la loyauté à la parenté et au clan a continué de caractériser la politique somalienne32. Le favoritisme et la puissance numérique des coalitions de clans étaient plus importants que le mérite personnel, puisque les partis politiques s'identifiaient aux clans et aux sous-clans. Certains Somaliens se rappellent de cette époque pour sa liberté politique, d'autres, pour sa corruption croissante, le clanisme et la prolifération des partis politiques. Le pays nouvellement indépendant devait allier deux systèmes judiciaires, deux monnaies, deux organisations des forces militaires et de la fonction publique, ainsi que deux régimes de fiscalité et d'enseignement. La Somalie est devenue tributaire de l'aide étrangère qui servait à enrichir la fonction publique et les forces armées33, tandis que la pauvreté est demeurée endémique parmi les masses.
Au cours de la guerre froide, la Somalie a obtenu une aide économique et militaire en montant les superpuissances l'une contre l'autre. L'État est devenu une importante source de richesses, l'argent étant réparti entre les clans. En 1969, la population de quatre millions d'habitants comptait 64 partis politiques représentant 64 lignées et sous-lignées34, qui réclamaient toutes une portion des richesses nationales. Cette tendance est réapparue pendant l'effort de secours international en Somalie, lorsque les membres de clans qui siégeaient aux conseils locaux ont tenté d'accaparer l'aide étrangère.

Le coup d'État militaire


En 1969, le major-général Syad Barre, commandant en chef des forces armées, s'est emparé du pouvoir et a instauré une dictature militaire socialiste qui a duré neuf ans. Son gouvernement a suspendu la constitution démocratique, dissous l'Assemblée nationale, démantelé les partis politiques et interdit les associations professionnelles. Des politiciens civils en vue ont été arrêtés et détenus pendant des années35. Des organismes de citoyens non parrainés par le gouvernement ont été interdits. En tant que président, Barre recevait l'appui d'un conseil révolutionnaire suprême (CRS) de 25 membres, constituée d'officiers de l'armée et de la police. En 1972, la nouvelle constitution du gouvernement a établi une assemblée nationale, mais a autorisé les partisans de Barre à créer un régime politique sans restrictions constitutionnelles, législatives ou judiciaires sur l'exercice du pouvoir exécutif. Les agents et les informateurs du Service de sécurité nationale ont enrayé la dissidence. Le régime a nationalisé la majeure partie des entreprises, des banques, des sociétés d'assurance, ainsi que la presse, a censuré les médias, a refusé d'accorder des visas aux journalistes étrangers et a créé une personnalité culte où Barre figurait comme « notre père ». Au moyen d'un programme de « socialisme scientifique », la gestion de l'économie est tombée entre les mains d'organismes gouvernementaux.
Comme le petit cercle des conseillers de Barre n'était issu que de trois clans, son gouvernement était parfois désigné sous l'acronyme MOD (Marehan, Ogadeni, Dolbahante)36. Pour contrôler les autres clans (le Majerteen en 1979, l'Isaq en 1988 et l'Hawiye en 1989-1990), le régime est devenu de plus en plus répressif. Barre a déclaré la guerre au tribalisme. Il a démantelé les institutions traditionnelles qui réglaient les conflits. En 1973, il a interdit les réunions sociales privées - fiançailles, mariages et funérailles - à moins qu'elles ne soient tenues dans les centres d'orientation du gouvernement. Beaucoup de gens, mécontents de ces mesures répressives, ont émigré ou se sont tournés vers la violence.
Pendant les années 70 et au début des années 80, les États-Unis et l'URSS (avec Cuba)37 ont rivalisé pour exercer une influence dans la Corne de l'Afrique, car elle se trouvait à proximité du Moyen-Orient. Au début, l'Union Soviétique et l'Allemagne de l'Est ont appuyé le régime socialiste scientifique de Barre. Cependant, lorsqu'un gouvernement marxiste a pris le contrôle de l'Éthiopie, les États-Unis se sont retirés et l'URSS est intervenue pour soutenir l'Éthiopie pendant la guerre de l'Ogaden. Furieux de cette manuvre, Barre a renvoyé les conseillers militaires soviétiques, a fermé les installations militaires soviétiques qui se trouvaient dans le pays et s'est tourné vers l'Ouest pour obtenir une aide et un soutien militaire. Pour assurer la sécurité des approvisionnements de pétrole dans le Golfe, les États-Unis ont amélioré leurs relations avec la Somalie, ont pris le contrôle, en 1980, de la base soviétique située à Berbera et ont négocié l'accès du Commandement central américain aux installations militaires de la Somalie.
La rivalité entre les superpuissances a favorisé la fourniture d'armes aux groupes en quête de pouvoir dans la région, attisant les conflits régionaux. L'utilisation d'armes dans la Corne était plus élevée par habitant que partout ailleurs en Afrique. Au milieu des années 70, lorsque l'amitié entre l'Union Soviétique et la Somalie était à son apogée, la Somalie possédait les forces les mieux équipées de l'Afrique noire. Le matériel militaire soviétique a permis à la Somalie de faire la guerre de l'Ogaden, mais Cuba a aidé les Éthiopiens à repousser les Somaliens.

La guerre de l'Ogaden (Éthiopie)38

La victoire de l'Éthiopie sur la Somalie a amené l'effondrement de l'alliance MOD, laissant peu de place à la collaboration entre clans. L'armée a commencé à éprouver des problèmes d'organisation, en partie à cause de l'expansion rapide qu'elle a connue au cours des années 70 en prévision de la guerre. La discipline est devenue de plus en plus difficile à maintenir étant donné que le recrutement d'avant-guerre s'était fait en fonction des clans-en particulier les clans Ogadeni, Marehan, Hawiye et Majerteen39. C'est ainsi que, après la guerre, les distinctions entre les unités militaires spécifiques aux clans et les milices de clan se sont estompées. Devenus la principale source d'aide économique et militaire de la Somalie, les États-Unis ont établi une installation militaire et navale à Berbera, fourni des armes, tenu de fréquentes consultations avec le régime somalien40 et aidé la Somalie à résister à une invasion par l'Éthiopie en 1982.

La guerre civile


Après la guerre de l'Ogaden, des centaines de milliers de réfugiés éthiopiens des clans Ogaden et Oromo ont afflué à la frontière. Ils se sont installés dans le Nord, où les Isaqs-le plus grand clan de la région41-ont accusé le régime Barre de favoriser les réfugiés aux dépens de la population locale. En 1981, un groupe d'exilés du clan Isaq a formé le Mouvement national somalien (MNS). À partir de ses bases en Éthiopie, il a mené des raids éclairs contre l'armée somalienne. Le 27 mai 1988, le MNS a attaqué Burao et la ville septentrionale de Hargeisa. Incapable de mettre en échec les guérilleros, l'armée a tué des dizaines de milliers de civils dans les villes du Nord.
Vers 1988, le régime Barre a été accusé de génocide contre les factions rebelles du Nord, et l'Occident a bloqué l'aide extérieure. Les États-Unis ont cessé de fournir des armes à la Somalie en 1989, et les Soviétiques ont mis fin à leurs envois vers l'Éthiopie en 199142; les deux pays ont encouragé les gouvernements locaux à résoudre eux-mêmes leurs différends. Au cours des années qui ont suivi, la guérilla menée par de nouvelles factions opposées au gouvernement s'est étendue au centre et au sud du pays43. À la fin de 1990, tout le sud de la Somalie était en guerre. Puis, le 19 janvier 1991, les forces du Congrès de la Somalie unifiée (CSU), sous la direction du général Mohamed Farah Aydiid, sont entrées à Mogadiscio, forçant Barre à fuir. Toutefois, des factions ont continué à se battre pour le pouvoir, des centaines de soldats « improvisés » et de pillards contribuant à la violence.
Le Nord craignait qu'un gouvernement dominé par des clans du Sud l'exclurait du pouvoir. Après consultation des élites dirigeantes provinciales, la République du Somaliland a été proclamée le 18 mai 1991, avec Abed al-Rahman Ahmad Ali Tur du MNS comme président44. Après plusieurs années de guerres intestines, des tentatives ont été faites au début de 1991 pour réconcilier les diverses organisations armées. La Conférence de la réconciliation nationale, à Djibouti, a appuyé l'autorité d'un gouvernement provisoire et accordé la présidence à un chef du CSU, Mohammed Ali Mahdi. Le général Aydiid a soutenu que le CSU devrait pouvoir nommer son propre candidat-à savoir lui-même. En août, Ah Mahdi a été confirmé à la présidence et a été chargé de mettre fin à la guerre, d'établir une infrastructure civile et d'adhérer à la politique du CSU pour reconstituer une armée nationale45. L'accord de Djibouti a été assombri par des tensions entre deux factions rivales du CSU, qui ont dégénéré en guerre totale à Mogadiscio46, en novembre 1991, lorsque la faction du général Aydiid a redoublé d'efforts pour évincer Ah Mahdi.
Le gouvernement central a été dissous et les clans se sont battus pour le contrôle du pays. Par suite de l'effondrement du gouvernement central, seuls les chefs de faction ou les anciens des clans locaux assuraient le leadership et le contrôle administratif, et les règles en vigueur dans la région variaient en fonction du clan au pouvoir. Tous les gouvernements régionaux manquaient de bons moyens de communication et de transport, et les chefs étaient constamment attaqués par des groupes rivaux.
Les affrontements armés et d'autres problèmes graves sont surtout survenus dans le Sud, ou le général Aydiid et Ah Mahdi sont apparus comme les deux dirigeants les plus puissants. La plupart des occidentaux ont compris que Ah Mahdi et le général Aydiid appartenaient aux sous-clans Abgaal et Habar Gidir, mais rares sont ceux qui ont compris que les deux sous-clans se divisaient aussi en lignées qui n'appuyaient pas les chefs de faction, et que les deux chefs étaient constamment en négociation avec d'autres groupes pour garder leur position précaire.
Les combats se sont concentrés dans la ville de Mogadiscio lourdement endommagée et dans la zone agricole entre Mogadiscio, Kismayo et Bardhere, qui est vite devenue une zone de famine. En mars 1992, le Comité international de la Croix-Rouge signalait-des niveaux « horribles » de malnutrition-touchant près de 90 p. 100 de la population dans la région de Belet Uen et dans les camps de personnes déplacées, près de Merca, au sud de Mogadiscio. L'anarchie, la destruction de l'infrastructure47 et la sécheresse se sont alliées pour créer d'énormes problèmes. À Mogadiscio, seulement le tiers de la population avait de l'eau propre48. Les luttes de clan et le banditisme ont empêché une bonne distribution de l'aide alimentaire, et la Somalie est tombée dans une forme d'anarchie caractérisée par des gangs de bandits vagabonds et des milices de clan mal organisées combattant tous pour le contrôle de villes et de régions clés. Comme les miliciens n'étaient pas payés, une économie de pillage a surgi49.
Dans un effort désespéré pour contenir la famine, les organismes d'aide ont dû conclure des ententes de « sécurité » avec les milices locales qui exigeaient de la nourriture et un salaire pour protéger les convois et les camps. Les milices se sont battues pour le contrôle des approvisionnements de secours, qu'elles détournaient et revendaient pour financer l'achat d'armes. Lorsqu'il est devenu évident que l'aide internationale alimentait les combats qui étaient à l'origine de la famine, la communauté internationale a envisagé de recourir à la solution de l'intervention armée.

LA SITUATION EN SOMALIE LORSQUE L'ONU EST INTERVENUE EN 1992


Le contexte général en 1992


Les bouleversements politiques, alliés aux effets de la guerre civile et à une grave sécheresse, avaient causé des ravages50. La structure sociale s'était effondrée. Les services de police étaient complètement désorganisés51. Selon des rapports officiels, la sécurité politique était incertaine dans toutes les parties du pays et probablement sujette à des fluctuations rapides. Ces rapports ne disaient rien, toutefois, du fait qu'en l'absence de systèmes étatique et judiciaire officiels, ce sont le droit traditionnel et les anciens des clans qui servaient à arbitrer les conflits, tout comme les tribunaux islamiques, qui, avec l'aide de jeunes gens armés et disciplinés, ont pu imposer la sharia52.
La presse occidentale avait réduit la complexité du conflit (durant les années 90) à une guerre de clans, mais la situation comportait également une lutte de pouvoir entre le général Aydiid et Ah Mahdi et un conflit entre des groupes lourdement armés composés d'hommes et de jeunes garçons appauvris. Le camp de Mahdi appuyait la présence des forces de maintien de la paix des Nations Unies, mais le général Aydiid, craignant que les Nations Unies ne reconnaissent le gouvernement en place, préférait une réconciliation nationale qui aurait conduit à la formation d'un nouveau gouvernement dans lequel sa faction aurait occupé une place plus importante53.

Les actions des Nations Unies


L'ONU et ses organismes se sont retirés de Mogadiscio après le renversement de Barre et n'ont accordé aucune aide en 199154.
À la mi-décembre 1991, suite aux vives critiques de la Croix-Rouge et du Département d'État américain, les Nations Unies ont dépêché en Somalie le Secrétaire général adjoint, M. James Jonah. Son intervention a conduit à un embargo sur la vente d'armes à la Somalie et a encouragé les pays membres à accorder de l'aide humanitaire. À la mi-février 1992, les Nations Unies ont appelé les négociateurs de Ah Mahdi et du général Aydiid à New York, et il a suffi de deux jours de négociation pour conclure un cessez-le-feu. Les combats à Mogadiscio se sont cependant poursuivis. Plus tard dans le courant du mois, des représentants des Nations Unies, de l'OUA, de la Ligue arabe et de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI) se sont rendus à Mogadiscio pour fixer les détails du cessez-le-feu55. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé une force des Nations Unies constituée de 50 observateurs non armés à aider à la mise en application d'un cessez-le-feu négocié par les Nations Unies à Mogadiscio, entre Ah Mahdi et le général Aydiid56. Le cessez-le-feu a été relativement efficace pendant cette période, mais des factions non contrôlées continuaient de se livrer à des actes de banditisme et au pillage à Mogadiscio et un peu partout dans le pays. L'extorsion et les problèmes de sécurité ont également compliqué le déroulement des opérations d'aide humanitaire. En juillet 1992, les Nations Unies avaient envisagé un engagement à long terme en Somalie comportant, entre autres, le rétablissement d'une force policière. Une lettre du Secrétaire général de l'ONU au Conseil de sécurité justifiait l'invocation du chapitre VII, pour permettre de prendre tous les moyens nécessaires.

La situation dans la région de Bosaso

Bosaso, où devait avoir lieu la mission du Canada en Somalie, est située dans le nord-est du pays, près du littoral de la mer Rouge. Cette ville était habitée par un clan relativement homogène, les Mijerteens, au sein duquel l'autorité était exercée par les anciens et les dirigeants. Le clan vivait dans des conditions relativement paisibles, comparativement au Sud. Le Front démocratique pour le salut de la Somalie (SSDF) était la seule faction à contrôler la région. Les Mijerteens, qui avaient une conception cosmopolite des forces internationales, accueillaient favorablement l'intervention internationale de même que l'aide et les biens qui l'accompagnaient. Aussi, lorsque les représentants canadiens ont effectué une étude de reconnaissance de Bosaso et de la région nord-est, pour voir si les forces canadiennes de maintien de la paix pouvaient y être envoyées, ils ont trouvé un milieu qui se prêtait à une opération traditionnelle menée aux termes du chapitre VI. Bosaso était une ville sûre, active, bien administrée et exempte de violence entre clans. Les affaires et le commerce s'y poursuivaient et le marché local était actif57. Les forces policières patrouillaient dans les rues. Le calme relatif qui régnait a permis au port (sous le contrôle du SSDF) de devenir le plus occupé du pays. Des véhicules étaient disponibles sur place. La centrale électrique disposait de suffisamment de combustible pour fonctionner de deux à six heures par jour, principalement pour alimenter l'usine de transformation de poisson58 et pour permettre les interventions urgentes dans les hôpitaux. Les pièces de rechange et le carburant étaient cependant rares et les renseignements obtenus indiquaient que l'aéroport de moyenne importance était dans un piètre état.
Bosaso comptait de nombreux réfugiés qui fuyaient la guerre civile dans le Sud. Selon un rapport du QGDN, l'afflux de réfugiés avait fait grimper la population de la ville de 7 000 à 77 000 habitants, mettant ainsi les ressources locales à rude épreuve. De nombreux réfugiés habitaient dans des abris de fortune. Toutefois, les Somaliens qui ont communiqué cette information n'ont fait état d'aucun manque de ressources alimentaires. Le fait a d'ailleurs été confirmé dans un rapport du QGDN indiquant que les conditions étaient « sensiblement meilleures » que dans le 5ud59.

La situation dans la région de Belet Uen

Belet Uen se trouve dans une région frontalière où cohabitent deux formes très distinctes de production (le pastoralisme et l'agriculture). Pendant les trois ou quatre premiers mois de l'année, période au cours de laquelle se sont produits les principaux incidents impliquant les FC, la température peut dépasser les 40oC et Si l'on tient compte de l'humidité, on a la sensation qu'il fait 50oC et plus. Belet Uen est un point de passage stratégique entre le centre de la Somalie, l'Éthiopie et le sud de la Somalie. La seule route nord-sud du pays relie Mogadiscio à Belet Uen en longeant le Shebeli. A partir de là, la route s 'étire vers le nord jusqu'aux régions centrales de la Somalie et vers l'ouest jusqu'en Éthiopie. Selon M. Menkhaus, Belet Uen se trouvait à un croisement crucial pour le trafic d'armes en provenance de l'Éthiopie et pour le mouvement des troupes depuis la région de Mudug dans le centre de la Somalie (où était installé le clan Habr Gedr, du général Aydiid) jusqu'à Mogadiscio. Belet Uen était une région d'une importance stratégique considérable, dans le contexte politique somalien et, de ce fait, le siège d'une concurrence politique féroce avec les clans locaux qui s'efforçaient de contrôler la région. Le GTRAC devait affronter des changements d'alliance entre clans et les revendications des clans concernant l'autorité politique et les richesses économiques.
Lorsque le gouvernement Barre a été refoulé vers Mogadiscio en 1989-1990, les troupes ont riposté par la politique de la terre brûlée, le pillage et des agressions contre les populations locales pendant leur retraite. Belet Uen et les régions riveraines du Shebeli ont été très durement touchées par les actions des partisans de Barre. Dès le milieu de 1991, la région s'est retrouvée vulnérable à la famine et aux pénuries alimentaires, à la différence du nord-est de la Somalie, qui n'a pas été exposé à la famine et est demeuré à l'écart de la plupart des affrontements armés. Les victimes de la famine de Rahanwein ont afflué vers Belet Uen, où une opération de secours aérien international était organisée.
Le clan Hawaadle, un clan relativement modeste de la famille Hawiye, était le groupe social dominant de Belet Uen. Il exerçait un contrôle étroit sur la vie politique et les forces policières et a donc pu s'assurer la plupart des contrats des organismes d'aide internationaux. Les membres du clan ont tenté de conserver le contrôle des approvisionnements de secours, de la représentation politique et des richesses économiques de la région. Cette situation a provoqué le mécontentement des autres clans, qui revendiquaient le contrôle de la route, importante voie d'acheminement du personnel et du matériel militaire depuis l'Éthiopie et les régions centrales de la Somalie jusqu'au général Aydiid, à Mogadiscio60.
La région de Belet Uen était, de ce fait, réputée pour les actes d'extorsion et les rivalités complexes entre les clans61. Les cas de banditisme et d'extorsion étaient beaucoup plus répandus à Belet Uen qu'à Bosaso. Les organismes d'aide internationaux ont dû faire preuve d'un tact considérable pour réussir à contourner les tensions entre clans présentes à toutes les étapes de leurs opérations. La ville était considérée comme un endroit difficile de la Somalie pour une force militaire de l'ONU.

NOTES


  1. Pour de plus amples informations au sujet de la culture du Régiment aéroporté, voir le chapitre 9 du présent volume et la recherche réalisée pour la Commission par Donna Winslow, Le Régiment aéroporté du Canada en Somalie: une enquête socioculturelle, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 1997.
  2. Nous sommes reconnaissants envers Kenneth Menkhaus, du Davidson College (Caroline du Nord), pour le témoignage exhaustif qu'il a présenté devant la Commission le 23 octobre 1995, Transcriptions, vol. 7, p. 1266-1412. M. Menkhaus a été conseiller auprès des Nations Unies à l'égard de la situation en Somalie, et les données qui figurent dans ce chapitre au sujet de la situation politique, de l'histoire, de la structure sociale de la Somalie et de l'organisation des clans dans ce pays se fondent sur l'information que nous a fournie M. Menkhaus.
  3. James Wyllie, « Somalia, State Disintegration and Regional Stability », Jane's Intelligence Review (février 1993), p. 71.
  4. Ministère de la Défense nationale, Quartier général de la Défense nationale, « Rapport d'analyse du théâtre des opérations Somalie » (25 août 1992), p. 9/25. Ce chiffre fluctue en raison du style de vie nomade de bon nombre de Somaliens.
  5. MDN, QGDN, Rapport d'analyse du théâtre des opérations, p. 19.
  6. David D. Laitin, Politics, Language and Thought: The Somali Experience, Chicago, University of Chicago Press, 1977, p. 21.
  7. Le contrôle du territoire ne touche pas seulement l'accès aux pacages mais également d'autres sources de revenu. Par exemple, avant l'occupation coloniale, un clan contrôlait l'accès à son territoire. Les commerçants de l'extérieur (somaliens ou non) qui désiraient traverser le château fort d'un clan devaient verser un paiement de protection à un membre de ce clan. Cette coutume semble avoir refait surface sous une forme modifiée durant les campagnes d'aide internationale.
  8. En 1989, les produits du bétail représentaient environ 49 p. 100 du produit intérieur brut. Les exportations de ces produits ont augmenté après 1969, pour atteindre un sommet de 132 millions de dollars en 1982, ce qui représentait cette année-là quelque 80 p. 100 des sources de devises étrangères. Ce secteur, comme l'économie tout entière, a été ébranlé par la suspension des importations en 1983 par l'Arabie Saoudite, le principal client de la Somalie. Une entente avec l'Égypte n'a pas suffi à compenser cette perte, et les recettes des exportations de bétail ont Chuté en 1984. En 1985, les recettes se sont rétablies, et elles ont encore augmenté en 1986-1987, pour baisser de nouveau en 1988 et 1989, en raison des combats dans le Nord, où se trouve la plus grande partie du bétail. Le secteur de l'élevage a également été gravement touché par la sécheresse au milieu des années 70 ainsi qu'en 1984-1985.
  9. Voir I.M. Lewis, The Modem History 0f Somalia: Nation and State in the Horn of Africa, New York, 1980, p. 7 (édition révisée de The Modem History of Somalia Nation and State in the Horn of Africa, Boulder (Colorado), Westview Press, 1965.
  10. MDN, QGDN, Rapport d'analyse du théâtre des opérations, p. 8.
  11. Pour plus de détails, voir Africa South of the Sahara, 1993, 22e éd., Londres, Europa, 1992.
  12. En 1990, le produit national brut était de 946 millions de dollars US, soit 150 $ par habitant. De 1980 à 1990, le PNB a augmenté à un rythme annuel de 1,1 p. 100, tandis que le PNB par habitant baissait de 1,8 p. 100 par année. (Africa South of the Sahara, 1993, p. 755).
  13. MDN, Quartier général du Secteur du Centre de la Force terrestre, BFC Toronto, Précis sur la Somalie, p. 9.
  14. Samuel M. Makinda, Security in the Horn of Africa, Adelphi, documents 269, Londres, Brassey, 1992, p. 34.
  15. Précis sur la Somalie, p. 9.
  16. MDN, Directeur général du Renseignement, QGDN, « Rapport de la mission d'évaluation dans les régions de Ban, Nugaal et Mudug en Somalie, 17-30 septembre 1991 », p. 25-26.
  17. « Rapport de la mission d'évaluation dans les régions de Ban, Nugaal et Mudug en Somalie, 17-30 septembre 1991 », p. 26.
  18. Bien que le Précis sur la Somalie distribué aux militaires canadiens indique que la population comprend 98,8 p. 100 de Somaliens, 1 p. 100 d'Arabes et quelques étrangers (p. 8), d'autres sources affirment que la région située entre Mogadiscio et Kismayo, particulièrement le district de Kismayo et la vallée du bas du fleuve Djouba, est habitée par un grand nombre de non-Somaliens. Ceux-ci sont d'origine arabe et vivent à Merka et à Brava, ou descendent des esclaves de l'est et du sud de l'Afrique - appelés Goshas - qui ont fondé des collectivités dans les forêts du bas du fleuve Djouba. La population arabe de Kismayo a fui la ville peu après la chute du gouvernement Barre en janvier 1991. Durant la première moitié de 1991, les non-Somaliens furent parmi les principales victimes civiles des belligérants. En outre, le statut inférieur des Goshas peut avoir influencé la quantité des secours reçus (Canada, Centre de documentation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, « Somalie : Rapports 1991 de l'Inter-NGO Committee for Somalia (UK) (INCS-UK) - Résumé », Ottawa (mars 1992), p. 8).
  19. Aman: The Story of a Somali Girl, Aman, as told to Virginia Lee Barnes et Janice Boddy, Toronto, Knopf, 1994, p. 295.
  20. D'après les documents, les cinq principaux clans sont, en commençant par le plus nombreux: 1) les Darods, qui habitent les régions du sud-ouest et du nord-est Syad Barre fait partie de ce clan.; 2) les Hawiyes, autre tribu nomade habitant la région centre-est; 3) les Isaqs, troisième groupe tribal nomade habitant la région du centre; 4) les Dirs, au nord-ouest; et 5) les Rahanouins, seul grand clan non nomade pratiquant l'agriculture dans le sud.
  21. Aman: The Story of a Somali Girl, p. 295.
  22. I.M. Lewis, A Pastoral Democracy: A Study of Pastoralism and Politics among the Northern Somali of the Horn of Africa, Londres, Oxford University Press, 1961, p. 2.
  23. Lewis, A Pastoral Democracy, p. 6.
  24. Aman: The Story of a Somali Girl, p. 295.
  25. Témoignage de K. Menkhaus, Transcriptions, vol. 7, p. 1277.
  26. Aman: The Story of a Somali Girl, p. 300.
  27. Barnes et Aman : The Story of a Somali Girl, p. 291.
  28. La Grande-Bretagne s'est emparée de la majeure partie du littoral nord. La France a pris le promontoire nord-ouest qui est actuellement Djibouti. L'Italie, qui s'était établie antérieurement sur la mer Rouge, en Érythrée, a acquis le contrôle de la majeure partie de la côte somalienne de l'océan Indien. L'extrême sud du territoire somalien, dont la plus grande partie se trouve actuellement au Kenya, est également allé à la Grande-Bretagne. L'Éthiopie, réagissant à la présence européenne et cherchant en vain une ouverture sur la mer, s'est déplacée à l'est, s'emparant des importants pâturages somaliens de la steppe d'Ogaden (Aman: The Story of a Somali Girl, p. 292).
  29. Saadia Touval, Somali Nationalism: International Politics and the Drive for Unit y in the Horn of Africa, Cambridge, Harvard University Press, 1963, p. 7.
  30. Lewis, Modem History of Somaliland, p. 98.
  31. L'Italie a néanmoins maintenu des liens commerciaux avec la Somalie et a été le seul pays engagé dans la médiation des conflits régionaux à la fin des années 80 et au début des années 90 (Makinda, Security in the Horn of Afrîca, p. 71).
  32. Centre de documentation du Conseil de l'immigration et du statut de réfugié, « Somalie - Résumé », p. 12.
  33. Le gouvernement a cherché à quadrupler la taille de son armée, composée de 5 000 personnes au moment de l'indépendance. Les Américains, en raison de leurs liens avec l'Éthiopie, ont aidé à moderniser les service de police de la Somalie. En 1962, l'URSS a accordé à la Somalie des prêts et des armes sophistiquées et lui a envoyé des conseillers militaires. Ainsi armée, la Somalie s'est livrée à des guerres frontalières avec le Kenya et l'Éthiopie (Laitin et Samatar, Somalia: Nation in Search of a State, p. 74; (« UK Intelligence Report, 7-1991 », p 4721); et Rakiya Omaar, « Somalia: At War with Itself», Africa Watch (mars 1992), p. 231.
  34. Said S. Samatar, Somalia: A Nation in Turmoil, London: Minority Rights Group Report, 1991, p. 17.
  35. Omaar, « Somalia: At War with Itself », p. 230-231.
  36. Makinda, Security in the Horn of Africa, p. 26.
  37. L'ancienne base militaire américaine en Érythrée faisait partie du réseau des communications militaires des États-Unis et de l'OTAN. Lorsque l'URSS a établi une présence navale en Somalie et une base à Berbera à compter de la fin des années 60, cette manoeuvre a été considérée comme une menace aux intérêts de sécurité de l'Ouest dans la région (Makinda, Security in the Horn of Afrîca, p. 63).
  38. Le gouvernement colonial avait divisé les Somaliens en cinq entités la Somalie italienne au sud, la Somalie britannique au nord, des communautés somaliennes à Djibouti, un grand nombre de communautés dans l'Ogaden sous l'autorité de l'Éthiopie, et un autre groupe important dans le nord-est du Kenya. Cette séparation des clans a été un sujet de doléance, et le drapeau somalien arbore une étoile à cinq pointes représentant les cinq différents États entre lesquels les Somaliens ont été divisés sous le régime colonial. L'indépendance avait réuni les Somalies italienne et britannique, mais ce n'était pas satisfaisant. Après l'indépendance, la politique étrangère somalienne insistait tellement sur le retour de l'Ogaden qu'elle a fini par déclencher une guerre de frontière avec l'Éthiopie.
  39. Makinda, Security in the Horn of Africa, p. 29.
  40. Cette pratique a été découragée par le Congrès après 1989 (Omaar, « Somalia: At War with Itself », p. 231.
  41. Le clan Iraq comprend environ 20 p. 100 de la population somalienne (Makinda, Security in the Horn of Africa, p. 31).
  42. Samuel Makinda, Security in the Horn of Africa, p. 66.
  43. Par exemple, le Congrès de la Somalie unifiée (CSU) de la région du centre, d'abord dirigé par le général Mohamed Farah Aydiid avec l'appui du clan Hawiye, a déclaré la guerre au gouvernement.
  44. Voir James Wyllie, « Somalia, State Disintegration and Regional Stability ». Jane's Intelligence Review (février 1993), p. 72; Rakiya Omaar, « Somalia: At War with Itself», Africa Watch (mars 1992), p. 233.
  45. Rakiya Omaar, « Somalia: At War with Itself », Africa Watch (mars 1992), p. 233.
  46. L'infamante « ligne verte » divisait Mogadiscio en deux, Ah Mahdi dominant dans le Nord et Aydiid dans le Sud. Voir James Wyllie, « Somalia, State Dis intégration and Regional Stability », Jane's Intelligence Review (février 1993), p. 71.
  47. Au moment de l'intervention onusienne, il ne restait que peu d'infrastructure. Il y avait deux terrains d'aviation à Hargeysa et à Mogadiscio, et tous les ports et toutes les routes étaient en piètre état. Ministère de la Défense nationale, QGDN, Analysis of Area of Operations Report: Somalia (25 août 1992), p. 1.
  48. MDN, QGDN, Analysis of Area of Operations Report, p. 17.
  49. D'après M. Menkhaus: « D'un côté, les jeunes gens qui n'avaient pas de formation parce que le système d'éducation s'était effondré dix ans auparavant en Somalie étaient plus puissants dans leur communauté en plein chaos à condition de posséder une arme [...] Ils avaient fait plus d'argent que jamais à la faveur du chaos, grâce au pillage et à l'extorsion, et ils avaient vraiment intérêt à ce que cela continue. Leurs chefs tenaient vraiment à une économie de pillage. On a fini par les appeler les seigneurs de la guerre et, dans bien des cas, l'appellation est légitime, puisqu'il s'agit de personnes dont le pouvoir reposait sur la peur et l'instabilité; la menace d'une attaque par un autre clan, qui améliorait leur statut dans la communauté. Ils faisaient beaucoup d'argent en volant les organismes internationaux d'aide, d'autres clans et ainsi de suite. Des clans entiers de la Somalie ont conquis de vastes propriétés très précieuses en Somalie, et ils avaient nettement intérêt à perpétuer toute cette économie de pillage ». Transcriptions, vol. 7, p. 1307-1308.
  50. Ministère de la Défense nationale, QGDN, Analysis of Area of Operations Report, p. 19.
  51. Précis sur la Somalie, p. 5.
  52. Kenneth Menkhaus et John Prendergast, Political Economy of Post-Intervention Somalia, Document de discussion no 3 du Groupe de travail sur la Somalie, 1995, p. 7.
  53. Omaar, «Somalia: At War with Itself», p. 233-234.
  54. Omaar, «Somalia: At War with Itself», p. 233.
  55. Omaar, Somalia: At War with Itself», p. 234.
  56. Africa Watch a rapporté que l'insistance de l'ONU pour que les factions en guerre respectent l'accord de cessez-le-feu avant qu'elle commence à distribuer de la nourriture, des médicaments et autres objets de première nécessite, était malavisée puisque la faim exacerbait le conflit à Mogadiscio. Omaar, «Somalia: At War with Itself», p. 234.
  57. MDN, Rapport RENS, RECO Op «Cordon », p. 1.
  58. MDN, QGDN, Rapport d analyse du théâtre des opérations, (9 septembre 1992), annexe A, p. 2.
  59. Rapport d'analyse du théâtre des opérations (9 septembre 1992), annexe A, p. 1 et 2.
  60. L'entente conclue durant la guerre civile accordait la prépondérance au clan Hawaadle à Belet Uen. Le général Aydiid (également membre de la famille Hawiye) leur laissait le contrôle de l'aéroport de Mogadiscio. Il s'agissait d'un accord très lucratif qu'un clan relativement modeste comme celui des Hawaadles n'aurait normalement pas pu espérer, sauf que le clan Habr Gedr et le général Aydiid avaient besoin de leur assentiment. Puisqu'ils n'étaient pas officiellement alliés, les Hawaadles ont pris grand soin de demeurer aussi neutres que possible durant la guerre civile, mais les membres les plus influents ont pu bénéficier de possibilités spéciales en raison de leur situation géographique. Témoignage de K. Menkhaus, Transcriptions, vol. 7, p. 1284.
  61. Certains clans Hawiyes plus modestes, dont les Jajele, Galgaal et Badi Addo, vivent sur le versant ouest de la ville. Ils étaient mécontents de voir les Hawaadles monopoliser les avantages dans la ville, mais ils n'y pouvaient pas grand-chose. Au nord de la ville, le Habr Gedr, puissant clan pastoral (également membre de la famille Hawaye) occupait une situation dominante. Ce clan n'avait pas besoin de contrôler Belet Uen directement, mais devait obtenir l'accord de quiconque contrôlait la ville pour assurer la libre circulation du personnel et des armes. Au nord et à l'ouest, les clans Marehan et Bah Geri de la famille Darod contrôlaient le territoire au nord-ouest de la ville, qui menait à l'Éthiopie. La chose est importante puisqu'il s'agit de la famille de Syad Barre. Des membres du clan Ogadeni à l'ouest et en Ethiopie voulaient également avoir accès à la route. Témoignage de K. Menkhaus, Transcriptions, vol. 7, p. 1284-1285.
(C) Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada 1997

Source: http://www.dnd.ca/somalia/vol1/v1c11f.htm

Regard historique sur le conflit somalien

12-01-2007
Histoire de guerres et de luttes claniques

Pourquoi la Somalie occupe-t-elle soudainement une place de choix dans les manchettes médiatiques du monde entier? Depuis plus de quinze ans, ce pays de la corne de l’Afrique est sans gouvernement central et est majoritairement contrôlé par des clans, des «chefs de guerre» se livrant une lutte territoriale sans merci. Pillage, vols, viols sont le propre d’une situation politique chaotique où règne la loi du plus fort depuis le renversement et la fuite en 1991 du dictateur Mohamed Siad Barré.

nUn soldat américain fume une cigarette à un poste de contrôle
Un soldat américain fume une cigarette à un poste de contrôle sur une route à l’extérieur de Mogadiscio, Somalie, le 8 décembre 1993. (Alexander Joe/AFP/Getty Images)
Or, voilà qu’en juin 2006, après plusieurs mois de combats contre une alliance de chefs de guerre soutenue financièrement par les États-Unis, une milice armée de l’Union des tribunaux islamiques (UTI) prend le contrôle de la capitale Mogadiscio puis de la majeure partie du centre et du sud du pays. C’est cette victoire de l’UTI sur les seigneurs de guerre de l’Alliance pour le rétablissement de la paix et contre le terrorisme (ARPCT) qui signait le retour de la Somalie sur le devant de la scène politique internationale.

Historique d’un conflit
Depuis sa création en 1960, la Somalie est le lieu d’incessants conflits armés. D’abord, face à son voisin éthiopien relativement au contrôle de l’Ogaden, soit une région éthiopienne où l’on retrouve plus de quatre millions d’habitants d’origine ethnique somalienne. La dispute territoriale entre les deux pays leur a servi de trame de fond à deux guerres en 1964 et en 1977, en plus de divers affrontements sporadiques ayant pris fin en avril 1988 avec la signature d’accords de paix. Toutefois, c’est principalement sous la forme de la guerre civile que ce pays à majorité musulmane sunnite a connu ses jours les plus noirs.

En 1969, un groupe de militaires conduit par le général Mohamed Siad Barré prend le pouvoir. La situation somalienne, reconnue comme ayant une importance stratégique en termes de stabilité régionale dans la corne de l’Afrique, est toutefois indissociable des politiques internationales. Elle dépasse largement la seule opposition entre factions et clans dans le cadre de la guerre civile.

En effet, la Somalie fut, comme plusieurs pays africains, fortement impliquée dans la guerre froide opposant les États-Unis à l’URSS. Les sécheresses, la grande pauvreté et le conflit avec l’Éthiopie amena la Somalie à se doter tour à tour du soutien de l’Union soviétique pendant les années 70, puis des États-Unis avec lesquels elle signa un accord de coopération militaire en 1980. Au cours des années 80, les États-Unis ont apporté une aide autant humanitaire que militaire à la Somalie, et ce, en échange de l’utilisation de l’ancienne base navale soviétique de Berbera, sur la côte nord du pays.

Renversement de Barré et guerre civile
En 1986, le général Barré est réélu, mais l’opposition se fait de plus en plus vive. En 1991, le président se doit de quitter le pays suite à son renversement par des clans rivaux. Depuis ce temps, la Somalie est privée de gouvernement central et se veut le lieu de luttes sanglantes entre des chefs de guerre rivaux. La chute du régime de Barré entraîne ainsi des centaines milliers de morts résultant autant des violents combats entre les factions rivales que de la famine et de la chute de l’économie.

Face à cette situation humanitaire des plus catastrophiques et devant l’évidente incapacité des belligérants de respecter un cessez-le-feu signé sous l’égide des Nations Unies en février 1992, le Conseil de sécurité de l’ONU décide de mener une opération militaire d’envergure (UNOSOM II) devant être conduite par les États-Unis. C’est ainsi que 28 000 soldats américains débarquent à Mogadiscio dans le cadre de l’opération Restore Hope (Ramener l’espoir), en décembre 1992.

L’opération se révéla un cuisant échec pour les Américains, dont les derniers soldats quittèrent la Somalie en mars 1994, défaite notamment suite à la mort de 18 de leurs soldats en octobre 1993. À la suite du retrait des troupes américaines et des forces onusiennes leurs ayant succédé, le pays tombe dans un état chaotique sans précédent.

La Somalie est divisée en plusieurs régions contrôlées par des factions militaires qui se combattent et la crise tend à sombrer dans l’oubli au sein d’une communauté internationale pansant les plaies de son intervention avortée. En 2000, après l’échec d’une douzaine d’accords de paix déjà, un gouvernement transitoire est mis sur pied par divers leaders claniques élisant du même coup Abdiqasim Salad Hassan à la tête de celui-ci.

Quatre ans plus tard, soit en janvier 2004, alors que le mandat de ce dernier tire à sa fin sans avoir apporté l’accalmie promise dans les hostilités, un accord entre les principaux chefs de guerre permet la création d’un nouveau Parlement de transition. C’est donc en octobre 2004, dans une quatorzième tentative depuis 1991 d’instaurer un gouvernement central, qu’Abdullahi Yusuf Ahmed, un commandant soutenu par l’Éthiopie, est nommé président somalien par la gente politique.

Union des tribunaux islamiques
Le gouvernement intérimaire s’est toutefois avéré incapable de rétablir l’ordre dans le pays et principalement dans la capitale, considérée comme l’une des villes les plus dangereuses au monde. Mogadiscio, contrôlée par divers chefs locaux plus soucieux du maintien de leur pouvoir que du bien-être d’une population qu’ils exploitent, n’est même pas assez sécuritaire pour héberger le gouvernement qui n’y exerce quasiment aucune influence, et qui réside à Baidoa, plus au nord.

C’est dans un tel contexte chaotique que le mouvement de l’Union des tribunaux islamique (UTI) voit le jour, soutenu localement par des hommes d’affaires désireux de voir l’ordre rétabli. En juin 2006, la faction armée de l’UTI prend le contrôle de Mogadiscio en vainquant l’alliance des chefs de guerre soutenue par les Américains ainsi que par le gouvernement transitoire et les Éthiopiens. Après la prise de la capitale, l’UTI a poursuivi son offensive pour finalement contrôler la majeure partie du centre et du sud de la Somalie. Les régions sous le contrôle de ce groupe islamiste ont bénéficié d’un certain retour à la stabilité, en partie grâce à l’instauration du système pénal islamique de la charia.

La chute de l’UTI
C’est en réponse à une prise de pouvoir par ce groupe, soupçonné par les États-Unis d’être un nid de terroristes du même type que celui des talibans d’Afghanistan, que l’Éthiopie a joint ses forces à l’armée du gouvernement transitoire pour renverser les tribunaux islamiques après plusieurs semaines de menaces réciproques.

Déjà, le mois dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU votait une résolution prévoyant l’envoi de 8000 soldats d’une force africaine de maintien de la paix dans le but de protéger le gouvernement transitoire face à l’UTI.

La récente invasion de la Somalie par les troupes éthiopiennes venues appuyer le gouvernement transitoire a permis de renverser l’UTI, dont la croissante puissance effrayait au plus haut point autant les États-Unis que leur protégé, le voisin éthiopien. Il semble en effet que l’Éthiopie recherche la stabilité, toutefois pas au prix de la voir imposer par un groupe considéré comme une menace régionale.

Best Of du Scoop : la photo du jour

Tous les jours jusqu'au festival du Scoop à Lille, un cliché qui a marqué l'histoire du photojournalisme. La famine en Somalie. Photographe : Jean-Michel Turpin (Agence Gamma).

La famine en Somalie (1992), par Jean-Michel Turpin (agence Gamma)
La famine en Somalie (1992), par Jean-Michel Turpin (agence Gamma) Crédit Michel Turpin (Agence Gamma)

Mogadishu October 1993 (Video)



Video parts in Mogadishu, Somalia taken in Oct-Nov 1993 USAF 437 APS

EN MISSIONS AVEC L'ALAT - SOMALIE - OPERATION ORYX


Carte Somalie
Carte www.mapquest.com

 
Le 9 décembre 1992, Les premiers Marines US débarquent à Mogadiscio sous les caméras des journalistes : l'opération "Restore Hope" vient de commencer. Suivent des soldats français venus de Djibouti. Les américains se déploient à Mogadiscio, à Baidoa (le 16/12) et à Kismayo (au sud, le 20/12). Les français avancent jusqu'à Hoddur (le 25/12) près de la frontière éthiopienne. Suivent 40000 hommes de la force multinationale (Etats-Unis, France, Canada, Italie, Belgique...). Un détachement ALAT de 250 hommes avec 10 Puma et 12 Gazelle du 5em RHC de Pau participe à l'opération.

Jean-Luc Brissaud alors pilote Puma nous raconte : "Les Puma ont embarqué le 12 décembre à Toulon sur le TCD Foudre. Appareillage le 13 pour Djibouti puis Mogadiscio où nous débarquons le 25 décembre. Durant le trajet nous effectuons quelques appontages, le TCD n'a pas le temps de prendre des routes avia (aviation) donc les vols sont limités. L'escale à Djibouti sert à embarquer des Légionnaires, nous sommes très nombreux sur le bateau.

TCD
Photo : J-M. INEBRIA


TCD Foudre
"Tag sur le TCD Foudre"

Ce n'est pas toujours facile pour un terrien de s'habituer à la vie en mer quand le bateau remue. Les TCD sont des navires à fond plat, ils bougent terriblement et nous n'avons pas le pied marin... La Foudre et le Sirocco possèdent des stabilisateurs, mais personnellement je trouve que ça bouge quand même beaucoup.
Les marins sont généralement très accueillants. Au cours de cette mission, le bord a décidé de nous faire le repas de Noël le 24 décembre. Cette initiative fut très appréciée car une fois débarqués nous savions tous que nous aurions des conditions de vie très dures.
Nous avions comme mission la pacification du secteur de HODDUR, l'aide à la population et de faciliter l'acheminement par les ONG de l'aide humanitaire. Pour l'ALAT nous devions assurer le soutien des éléments Français avec 10 Puma et 12 Gazelle.

Hoddur

Le débarquement des hélicos fut assez long, environ 5 heures pour que tous les appareils puissent s'envoler. Le pont principal peut accueillir seulement 2 hélicos à la fois, une fois qu'ils sont partis, 2 autres sont amenés, leurs pales sont dépliées et les checks effectués avant la mise en route. Nous avons débarqués le 24 décembre sur l'aéroport de Mogadiscio et nous étions stationnés entre la piste principale et un parking au milieu d'un bruit infernal dû aux va et vient incessants des Galaxy, des Starlifter, C130, Antonov etc . Nous assurons la garde des appareils à tour de rôle, il faut dire que ce n'est guère difficile car nous "dormons" (entre 2 décollages) dans ou sous les hélicos. Le 26 décembre après midi nous décollons enfin pour BAÏDOA, nous sommes contents de quitter cet enfer sonore. A BAÏDOA nous ravitaillons chez les américains et nous repartons pour HODDUR où nous posons sur le terrain en latérite.

Tornade
A Hoddur, une mini-tornade appelée "sorcière"
passe sur l'aire de stationnement des hélicos !

 
La première chose qui nous frappe est la poussière qu'il y a dans ce pays. J'y reviendrais car cela demande un pilotage particulier. Le convoi routier est arrivé le lendemain. La population au début était inquiète, puis les habitants se sont rendus compte qu'il n'avait rien à craindre de nous. L'installation s'est faite en bout de la piste d'atterrissage sous tente. Nous étions rationnés en eau : pendant un mois nous n'avions qu'un litre et demi d'eau par jour et par personne pour se laver et laver nos vêtements + 3 litres d'eau pour boire. C'était très difficile avec la chaleur et la poussière. Nous avions l'interdiction d'aller puiser l'eau dans les puits. Certains soirs, une fois la nuit tombée, je partais avec 2 ou 3 camarades remplir une citerne d'eau avec une moto pompe pour pouvoir prendre une douche. Notre premier travail a été de sécuriser toute notre zone. Les Gazelle ont effectuées des patrouilles de reconnaissance, tandis que des embuscades étaient montées sur les pistes par les troupes au sol parfois mises en place à partir des Puma, sinon ravitaillées par ces derniers. Parallèlement nous avons héliportés de nuit des commandos sur les fortins tout le long de la frontière de l'ETHIOPIE.

Albaren
Fort d'Albaren, près de la frontière de l'Ethiopie

 
Tous les 2 ou 3 jours nous leurs amenions, toujours de nuit, des rations et de l'eau pour boire plus quelques bouteilles que nous arrivions à avoir par les Transall qui venaient de DJIBOUTI. En retour ils nous donnaient des phacochères et des gazelles, ce qui nous permettaient d'améliorer les menus des rations. Dans le même temps nous assurions le soutien logistique et armé de tous les postes français ainsi que les EVASAN (évacuations sanitaires).
Nous aidions directement la population en transportant des vivres, des vêtements, des pompes pour les puits et divers matériels pour la reconstruction de dispensaires et d'écoles. Mais nous assurions également la sécurité dans la zone qui nous était impartie en pourchassant les bandes de pillards qui avaient fait fuir les habitants des villages. Et nous avons vu revenir tous ces gens dans leurs maisons. Au sujet des écoles, j'ai assisté à la sélection des instituteurs. J'ai corrigé des exercices de mathématiques à 2 ou 3 candidats à un poste de maître. C'était assez folklorique, celui qui savait lire et compter a obtenu le poste... J'ai vraiment eu le sentiment d'aider les Somaliens, c'était très réconfortant.

Décollage
Décollage d'un Puma dans un nuage de sable
 
Je vais maintenant parler de la technique que nous utilisons pour poser dans la poussière. La Somalie est le pays où j'ai trouvé le plus de poussière de tous les endroits où je suis allé. Lorsque nous menons l'approche, vers 35-40 m se produit un nuage énorme dû au souffle du rotor. C'est très dangereux car on perd la vue du sol, donc nous n'avons plus de référence pour connaître notre position dans l'espace. En plus c'est une phase très délicate car nous sommes à faible vitesse et en descente. La solution que nous adoptions était de garder une petite vitesse et un taux de descente bien stabilisé avant de rentrer dans le nuage. Vers 5-10 m nous retrouvions la vue du sol. Pendant toute la phase dans le nuage nous contrôlions bien l'horizon artificiel, pour éviter les dérapages, le variomètre (indicateur de taux de descente) et l'anémomètre pour la vitesse. Nous touchions le sol avec une légère translation. Le jour cela pouvait encore aller. Mais la nuit cela se "corsait" énormément. Lors de certains héliportages, nous n'avions pas de balisage et nous étions en JVN. Nous utilisions la même technique mais par nuit claire (nuit avec pleine lune qualifiée de nuit niveau 1) nous retrouvions le sol seulement vers 2-3 m avant de toucher les roues. Par nuit sans lune (niveau 4 uniquement éclairage stellaire) nous ne retrouvions pas le sol avant de toucher, nous attendions l'impact ! Extrêmement éprouvant. Au cour d'une évacuation sanitaire de nuit sans lune, je me suis fait l'une des plus belle peur de ma carrière. Je suis parti de Hoddur sur un poste (le nom est Rapedur où Rabdur) tenu par la Légion Etrangère pour récupérer un légionnaire qui faisait une grosse crise de paludisme. En plus de l'équipage, il y avait un médecin et un infirmier. Arrivé sur le point, il n'y a pas de balisage en place, je sais que cet endroit est particulièrement poussiéreux. Je décide donc de poser plutôt vers le puit car c'est le coin le plus humide. Nous nous présentons pour l'approche, dès 70 m faible défilement, petit taux de chute, PA bien calé. Nous entrons dans le nuage, les secondes sont longues très très longues. Au bout d'un moment, que je suis incapable d'estimer, je ne me sentais pas bien, je crie à mon pilote remet les gaz, tire, tire tout. J'entends les moteurs qui montent en régime et une fraction de seconde plus tard je ressents un formidable impact : nous venions de toucher le sol. Nous rebondissons et reprenons de l'altitude. Vers 150m / sol nous contrôlons les instruments et testons les commandes, je décide une nouvelle tentative pour récupérer le malade. Entre temps, au sol, les légionnaires nous installent 4 lampes. Dès l'entrée dans le nuage de poussière je perds de vue les lampes mais j'en retrouve une à proximité du sol. Le posé est très difficile car je refuse le sol, la peur de taper de nouveau, la roue droite au sol je cadence mais je finis par plaquer l'appareil au sol. Au bilan j'ai creusé un trou au sol avec le train droit et j'ai déjanté d'une roue. Nous tirons le Puma avec un VAB (Véhicule de l'Avant Blindé, transport de troupe), puis nous repartons avec le blessé. Le lendemain les mécaniciens examinent le Puma sous toutes les coutures, il n'a rien. Je n'ai pas tapé très fort mais le bruit était très impressionnant car inattendu.
De temps en temps nous allions à Mogadiscio, c'était une mission très appréciée car on pouvait aller se baigner. C'était un bonheur sans pareil que de pouvoir se baigner alors qu'on était plongé dans la poussière et qu'on était rationné en eau. Nous partions toujours avec une grosse bouée, une glacière et un parasol. Les américains hallucinaient quand ils nous voyaient arriver à la plage. Cela a duré jusqu'à ce qu'une secrétaire de l'ambassade française se fasse arracher une jambe par un requin en se baignant à la plage où nous allions."

Coucher de soleil
Coucher de soleil