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Le mandat de guerre contre les pirates

L'Union européenne a autorisé la semaine dernière la conduite des opérations militaires sur terre dans le cadre de l'opération « Atalanta », menée contre les pirates somaliens. La lutte contre les pirates se déplace ainsi des eaux vers les terres du Somaliland, un territoire sans Etat. En parallèle, des alliés de l'OTAN ont convenu de poursuivre l'opération « Ocean Shield » jusqu’à la fin de 2014.
 
En avril 2008, un scandale a éclaté à la suite d’un prétendu raid de commandos français sur les côtes somaliennes après la libération de l'équipage d’un yacht de luxe capturé par des pirates qui voulaient une rançon en échange de leur libération. Les Français ont attaqué les pirates à l’aide des hélicoptères militaires, alors que Paris, a fermement démenti une opération terrestre. Désormais, ces opérations peuvent être effectuées sans excuses.
Du point de vue de la stratégie militaire, l'initiative de l'UE ne peut être que la bienvenue. Les rebelles somaliens ont des bases sur la côte – principalement en Somalie, mais pas seulement. Toutefois, le plus souvent, les attaques se produisent à une grande distance de la côte, et sont menées avec une grande précision. Les pirates de la mer modernes n’ont aucun problème avec la reconnaissance du terrain et le pointage des cibles. Et il est clair qu’ils ne sont que des exécuteurs dans toutes ces affaires. Derrière eux se trouvent des forces plus importantes, qui dépensent des sommes colossales pour fournir aux guerriers somaliens des armes, les moyens de transport, les dispositifs de communication moderne, et des informations précises. Malheureusement, la communauté internationale n'a même pas d’idée approximative de qui dirige les actions des pirates.
Le schéma classique des attaques dans les eaux de l’océan Indien est la preuve de l’existence des clients qui commandent leurs actions. Des navires, déguisés en bateaux commerciaux sillonnent les eaux des côtes somaliennes. Ils se trouvent en liaison permanente avec leurs curateurs extérieurs qui leur montrent des cibles spécifiques. Après cela, le navire-base s’approche de sa victime et descend à l’eau des canots à moteur. C’est alors que les pirates organisent l’abordage le bateau, saisissent la marchandise et prennent des otages. Et ils arrivent à s’enfuir et se cacher d’une manière très professionnelle, sans qu’on arrive à les attraper.
Il semblerait que la prise d’assaut, ou la destruction des bases militaires qui sont utilisés par des pirates, pourrait permettre de résoudre le problème. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Le personnel qui se trouve au service des pirates, ce ne sont que des exécuteurs d’ordres criminels, reçus d’en haut. Pour mettre un terme à ces actes de piraterie au large de la Corne de l'Afrique, il faut retrouver les principaux clients de ces pirates modernes. Et ils ne se trouvent pas en Somalie.
Le fait que les attaques des pirates se sont intensifiées ces dernières sur des cargos qui transportent des marchandises stratégiques, ou très chères, montre à quel point le système de recherche et de ciblage fonctionne bien. Il suffit de se rappeler de l’attaque du pétrolier «Sirius Star» avec une cargaison de pétrole brut pour une valeur de plus de 100 millions de dollars. C’est pourquoi, les spécialistes font le lien entre les pirates somaliens et le crime organisé à l’échelle internationale, qui gagne grâce à eux des sommes colossaux. On peut en conclure qu’il faut lutter contre les guerriers somaliens en mer, mais aussi contre les bases de guerriers sur le territoire de la Somalie et dans d’autres régions de l’Afrique. Toutefois cela risque de ne pas rapporter de résultats positifs dans la lutte contre la piraterie.
Pour remporter une victoire définitive contre les pirates, il faut porter un coup décisif contre ceux qui les commandent, et ces structures peuvent se trouver n’importe où dans le monde. C’est aux services de renseignement des pays du monde entier, intéressés par la sécurité dans les eaux internationales de jouer le rôle principal dans cette recherche. Car si les autorités se limitent à la lutte physique contre la piraterie, aucun résultat positif ne sera atteint. Périodiquement, l'activité des pirates sera temporairement éteinte par des opérations militaires intensives, mais elle ne fera que croître par la suite. Et cette guérilla peut durer éternellement.
Le transfert de la lutte contre la piraterie sur terre aura certainement un effet positif temporaire. Mais dans le long terme, cela mènera à une aggravation du conflit interne somalien, une nouvelle fragmentation de ce territoire et le chaos généralisé. Il est possible qu'au fil du temps, la logique de la confrontation permettra d'approfondir l’opération sur le sol, et alors, un contingent militaire sous l’égide de l’ONU pourrait être introduit en Somalie. Les événements au Somaliland prendront alors une tournure qui ressemblera à l'Afghanistan ou la Libye. Cela pourrait conduire à une nouvelle « bataille de Mogadiscio », semblable à celle d’octobre 1993 entre les unités des forces spéciales américaines, l’ONUSOM et la milice somalienne.
La communauté internationale devrait cesser de combattre les attaques de pirates qui ne sont que des symptômes. Elle devrait se concentrer plutôt sur l'élimination de ses causes et avoir un accès direct aux clients de ces actes criminels dans l'océan Indien. Pour y parvenir, la volonté politique des principaux acteurs mondiaux est nécessaire.

31 mars 2012

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