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Yves Debay, fou de guerre et aventurier iconoclaste

Yves Debay le 3 avril 2011.
Yves Debay le 3 avril 2011. | AP Photo/Le Parisien/Philippe de Poulpiquet
 

Le Monde.fr |

La guerre était sa vie, et Yves Debay n'aurait pas apprécié de mourir ailleurs qu'à la guerre. L'ex-mercenaire devenu reporter, véritable camé des champs de bataille, est mort à Alep, jeudi 17 janvier, tué par un sniper alors qu'il couvrait les combats entre les rebelles, avec lesquels il était monté au front, et l'armée gouvernementale syrienne.

 
Né au Congo belge en 1954, Yves Debay a d'abord été combattant. Après s'être ennuyé quelque temps dans l'armée belge, il est devenu mercenaire pour l'armée rhodésienne (blanche) qui combattait alors la guérilla marxiste (noire). Yves Debay en convenait volontiers : sa soif d'aventures et ses idées anticommunistes l'avaient emmené loin à l'extrême droite colonialiste et raciste.
Debay racontait ses années de soldat avec un doux sourire éclairant son visage poupin, comme pour réclamer un peu d'indulgence envers ce qu'il considérait, même en sachant que son interlocuteur ne partageait pas cette opinion, comme les errements idéologiques inévitables d'un jeune homme blanc de l'époque en Afrique. Il ne regrettait rien, mais trente années de fréquentation des armées et guérillas du monde entier, en tant que reporter, l'avaient ensuite vacciné contre le racisme.
 
PASSION DE LA GUERRE
Très attentif aux autres, d'une gentillesse peu commune dans ces contrées hostiles, il disait avoir appris à respecter tout être humain quelles que soient ses origines ou ses idées, avec une prédilection assumée pour ceux qui n'ont pas peur de porter un fusil et se montrent braves au combat.
Debay a ensuite assouvi sa passion de la guerre grâce au journalisme pour des revues spécialisées dans les questions militaires. Après avoir débuté à la Gazette des armes, il a couvert pendant vingt ans tous les conflits de la planète pour le magazine Raids, et a créé en 2005 sa propre publication, Assaut. De l'Afghanistan au Liban, de l'ex-Yougoslavie à l'Irak, jusqu'à récemment en Libye puis en Syrie, il cherchait toujours à être en première ligne, au plus près des combattants. Il aimait vivre avec eux. Il adoptait leur mode de vie, s'habillait comme eux, mangeait comme eux, partageait les mêmes risques, et ne concevait pas de couvrir une guerre autrement.
Lorsqu'il faisait une exception à cette règle d'immersion totale dans le monde des combattants, c'était généralement pour opérer une percée spectaculaire à travers les lignes, parce qu'il voulait aller voir plus loin, dans l'autre camp, ou qu'il trouvait simplement que ces combattants-là n'avançaient pas assez vite.
 
RESPECTÉ DANS LES MILIEUX MILITAIRES, DÉCRIÉ DANS CEUX DU JOURNALISME
Lors des deux guerres d'Irak, il a ainsi roulé dans le désert plus vite que les assaillants occidentaux, et a été fait prisonnier par l'armée de Saddam Hussein. La première fois, en 1991, la Garde républicaine irakienne a failli l'exécuter, le prenant pour un espion américain. La seconde fois, en 2003, nous avons vu les fedayins le remettre aux services secrets irakiens à l'hôtel Palestine, où vivaient les reporters pendant les bombardements américains, et il s'en est sorti avec une assignation à résidence en attendant la fin de la guerre.
Il a juste pris le temps de nous confier ses films, cachés dans le faux plafond de la chambre, au cas où il serait emmené en prison, et, comme à chaque rencontre, de réclamer trois minutes de liaison téléphonique satellitaire pour annoncer à sa vieille mère qu'une fois encore, il avait survécu, et qu'il rentrerait bientôt à la maison. Il a écrit sur les deux guerres d'Irak un récit autobiographique, Wildcat, Carnets de guerre d'un journaliste rebelle (Italiques, 2004).
Aventurier iconoclaste, fils autoproclamé du dieu grec du vin Dionysos, jamais avare d'une blague provocatrice, Debay était autant respecté dans les milieux militaires qu'il était décrié dans le monde du journalisme.
Solitaire, il se considérait comme un "affreux". Il méprisait "ces gens de l'arrière" et, si quelqu'un lui reprochait sa passion pour la chose militaire, il répondait, selon l'humeur du moment, par un direct du droit dans la figure, ou plus souvent en tournant le dos avec un sourire, repartant au seul endroit où il se sentait vraiment lui-même, au front, en première ligne, là où l'odeur de la poudre et la sueur des combattants lui permettaient de nourrir son culte des hommes en armes.