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Trophées et martyrs djihadistes sur Twitter

Publié le 29/01/2012
Mis à jour le 29/01/2012 à 8h46


La nouvelle stratégie des Chebabs somalis à travers les réseaux sociaux.

Des militants islamistes somaliens, en février 2009. REUTERS/Mowlid Abdi
- Des militants islamistes somaliens, en février 2009. REUTERS/Mowlid Abdi -

Les miliciens islamistes chebab de Somalie, jusqu’ici célèbres pour avoir lapidé des adolescentes, assassiné des supporters de football et empêché que l’aide alimentaire parvienne à leurs compatriotes affamés sont à présent sur Twitter. Vous pouvez donc discuter avec eux si vous le voulez.
Le nom du compte des Chebab est HSMPress, HSM étant les initiales du premier chef des milices chebab. Nul ne peut affirmer que HSMPress –qui a environ 6.000 abonnés– parle au non des Chebab: l’identité du détenteur du compte est un mystère. J’ai tweeté à HSMPress et j’ai envoyé un mail à hsm.press@yahoo.com afin de leur demander si leur fil était authentique et j’ai reçu une réponse polie m’assurant que tel était le cas. HSMPress a, en plusieurs occasions, posté des tweets qui semblent attester de son authenticité comme les papiers d’identité d’ennemis tués lors d’un combat ou un clip audio d’un soldat burundais capturé. Si la milice chebab n’est pas derrière ce compte Twitter, l’imitation est parfaite.



Le gouvernement américain semble prendre ce compte Twitter des terroristes très au sérieux. Le New York Times, citant des sources officielles anonymes, a rapporté, fin décembre, que le gouvernement américain avait l’intention de faire procéder à sa fermeture. J’en ai discuté avec une porte-parole du Département d’Etat qui n’a pas voulu me le confirmer mais qui m’a déclaré: «Nous sommes en train d’examiner sérieusement tous les éléments de cette situation afin de déterminer quelles pourraient être les mesures à prendre. »

Sur Twitter, les Talibans ont précédé les Chebab 

Ces Somaliens, qu’ils soient les chefs des Chebab ou des imitateurs, ne sont pas les premiers militants présents sur Twitter. Les Talibans, actifs depuis mars 2011, délivrent par le biais de leur fil officiel un flux régulier de propagande quasi-robotique («quatre morts dans l’explosion d’un véhicule des pantins du gouvernement»). A l’inverse, HMSPress apparaît comme une sorte d’aberration dans le monde du microblogging militant ou comme un nouveau modèle pour les groupes de rebelles sur les réseaux sociaux.
Depuis son premier tweet inaugural (en arabe), en date du 7 décembre, un très pieux «Au nom d’Allah» –HSMPress a presque exclusivement tweeté en anglais. (Il dispose d’un équivalent en arabe, HSMPress_arabic.) Les premiers tweets évoquaient des attentats suicides réussis, avec des dates et un décompte des victimes, ainsi qu’un appel au jihad classique, posté par le porte-parole militaire du groupe. C’est après que les choses ont commencé à devenir intéressantes.



Dans la soirée du 7 décembre, HSMPress a tweeté un lien vers un article de la BBC qui évoquait l’envoi, par le Kenya, de troupes rejoignant les forces de l’Union Africaine afin de lutter contre les milices chebab, pour le contrôle de la capitale de la Somalie, Mogadiscio, en proie au chaos le plus total. HSMPress s’est même fendu d’un petit commentaire emprunt de vantardise, affirmant que «l’#invasion kenyane tant vantée» s’était «rapidement soldée par un fiasco».

Grandiloquence et fanfaronnade en 140 signes

Ce ton a été conservé dans les tweets suivants, tous plus grandiloquents et fanfarons que les précédents. L’opération militaire kenyane en Somalie – lancée en réponse à une série d’attaques de bandits somaliens sur le sol du Kenya à l’automne dernier – est alors qualifiée d’aussi «extravagante que misérable» et décrite comme virant à «l’embourbement total». Les milices gouvernementales somaliennes sont dénoncées comme «nulles», sans doute en raison de «l’addiction de ses membres, consommateurs immodérés de qat»- référence à ces feuilles que de nombreux Somaliens mâchent pour ses vertus stimulantes. Dès le lendemain de son ouverture, le maître des réseaux sociaux de la milice chebab était passé maître dans l’utilisation des 140 signes:  
«Incapacité militaire, économie en plein effondrement, injustice sociale & et ambivalence publique provoquent une vaine tentative de sauver la face par les #KDF(l’armée kenyane, NdT): FUITE!»
La Somalie est privée de gouvernement depuis 20 ans, le New Yorker et Foreign Policy la décrivant comme «l’Etat le plus décomposé au monde.» En raison d’une interminable guerre civile, il ne reste presque plus rien du système public d’éducation dans le sud du pays, et la majorité des habitants sont trop pauvres et trop persécutés pour pouvoir manger; l’achat d’un ordinateur portable n’est donc pas même envisageable. Le fait qu’un rebelle somalien soit en mesure de lancer un fil Twitter et d’utiliser des termes comme «ambivalence» n’est donc pas sans poser des questions. Si la diction paraissait hésitante, le ton arrogant des tweets correspondait assez à celui que l’on peut attendre de la part d’un chef jihadiste illuminé. Il semble que HSMPress l’ait rapidement compris et ait ajusté sa prose en conséquence.

Eclipse lunaire et appel à la prière

Très rapidement, HSMPress s’est ainsi mis à publier des tweets visant la corde sensible:  
«Des bombes larguées par des avions #kenyans ont pulvérisé la maison d’un pauvre homme de 67 ans & de sa famille. Il est mort & sa seule fille est grièvement blessée.»
Il s’est ensuite greffé sur des sujets populaires sur Twitter: «éclipse lunaire également visible en #Somalie. Selon la Sunna du Prophète (PBASL) les musulmans doivent prier ensemble jusqu’à la fin de l’éclipse.» De façon encore plus étonnante, il s’est également mis à répondre à des tweets.
Un utilisateur, @DianaNTaylor, de Londres, a ainsi tweeté:
«@HSMPress le Prophète doit se retourner dans sa tombe! Votre utilisation de la religion comme une arme est au-delà de l’abject.»
La réponse des terroristes:
«Ce qui est au delà de l’abject, c’est la Croisade des Occidentaux contre l’islam dont vous semblez blasé (en français dans le texte, NdT) si vous ne l’approuvez pas.» (Taylor n’a pas répondu).
HSMPress utilise donc Twitter de la manière dont les experts en réseaux sociaux la conseillent: pas seulement pour diffuser des nouvelles, mais aussi pour engager des discussions. Il vous suffit de suivre un peu le fil de ce compte pour comprendre que vous avez bien affaire à un être humain, avec de réelles idées –même si elles sont fanfaronnes, hypocrites et violentes.
J.M. Berger, auteur de Jihad Joe, un livre traitant des Jihadistes nés aux Etats-Unis, affirme que le ton d’HSMPress est proche de celui des terroristes avec qui il a pu s’entretenir. Leurs déclarations publiques peuvent sembler venimeuses et grandiloquentes, mais elles répondent malgré tout aux codes des interactions normales entre gens bien élevés. «Il est ainsi possible d’avoir une conversation parfaitement cordiale avec un individu dont l’objectif affiché est de vous voir mourir», dit-il.
Les réseaux sociaux permettent donc de se trouver confronter à ce genre d’expérience sans aucun filtre. Une des raisons de la popularité de Twitter est qu’il permet de mettre tout le monde sur un pied d’égalité, donnant à des fans lambda le sentiment d’être personnellement lié à des célébrités dont l’existence est à des années lumières de la leur. Pourrait-il en être de même avec des terroristes ?
Les gouvernements cherchent, depuis longtemps, à priver les terrorismes de moyens de s’exprimer publiquement. Quand Ousama ben Laden enregistrait ses vidéos dans lesquelles il attaquait les Etats-Unis, les médias américains refusaient de les diffuser. Un des gourous des réseaux sociaux, Clay Shirky, m’a rappelé que dans les années 1980, le gouvernement britannique interdisait aux médias de diffuser la voix réelle des chefs du mouvement républicain irlandais et les contraignait à faire appel à des acteurs. Et Shirky d’expliquer pourquoi:
«Si vous avez le sentiment d’avoir affaire à une personne réelle, cela tend à humaniser le discours.»

La profession de foi des jihadistes ressemble à celle de la BBC

Le gouvernement américain s’inquiète donc sûrement que le fil HSMPress ne donne des idées aux Somaliens vivant aux Etats-Unis. Cette crainte n’est pas sans fondement: encore récemment, un certain nombre de jeunes Américains d’origine somalienne ont quitté les Etats-Unis pour rejoindre les milices chebab. Berger pense même que ce sont sans doute des ressortissants américains qui alimentent le fil HSMPress. Un des candidats les plus sérieux est sans conteste Omar Hammami, né en Alabama et qui est devenu une des figures du mouvement. Il serait tout de même étonnant qu’un personnage aussi proéminent risque d’être repéré en tweetant publiquement. Mais Hammami a également produit une chanson rap intitulée Send me a Cruise (envoie-moi un missile de croisière), ode au martyr jihadiste.
J’ai envoyé un e-mail à HSMPress afin de demander si le recrutement de musulmans de langue anglaise était un de ses objectifs. La réponse:
HSM Press n’est pas un outil de recrutement mais plutôt une méthode visant à révéler la réalité de la guerre actuellement en cours en Somalie au reste du monde et, en particulier, aux musulmans qui vivent en Occident. Les musulmans vivant en Occident sont littéralement écrasé par un barrage d’informations mensongères –souvent diffusées par des journalistes ayant une vision partisane de l’islam– et la Charia islamique est souvent présentée comme anachronique et devant être réformée –à tel point que cette vision déformée de l’islam est aujourd’hui bien ancrée dans leur esprit. En publiant du matériel tels que des documentaires ou des communiqués de presse en anglais, nous espérons éclairer les Musulmans d’Occident afin qu’ils prennent la mesure de cette soi-disant guerre contre la terreur et, ainsi les aider à comprendre les évènements sur le terrain tels qu’ils se déroulent et non pas tels que les médias occidentaux les rapportent de manière erronée.
Contrer les récits des grands médias qui ont une vue partisane de l’islam? Permettre une meilleure compréhension des évènements sur le terrain tels qu’ils se déroulent? Ceci ressemble davantage à la profession de foi du BBC World Service qu’à celle d’une bande de jihadistes meurtriers.

L'effet modérateur Twitter

Mais quelle que soit la nature de leur fil Tweeter, les milices chebab sont bel et bien une bande de jihadistes meurtriers. Face à leur compte Twitter, le gouvernement américain est confronté à un dilemme: doit-il tenter de faire fermer ce fil ou bien au contraire le laisser exister afin de glaner des renseignements. Si la première possibilité devait être choisie, le gouvernement pourrait imposer à Twitter d’effacer le compte au motif qu’il constitue une forme d’assistance matérielle aux terroristes. (Twitter s’est refusé à tout commentaire.)
A la fin 2011, le sénateur Joe Liberman a demandé que Twitter ferme le compte des Talibans, mais la compagnie a refusé. Liberman manquait de moyens de pression, car à l’inverse des Chebab, le gouvernement n’a pas classé les Talibans parmi les organisations terroristes.
Mais HSMPress a réagi à cette éventuelle menace par une moquerie:  
«Combien de compte le gouvernement #US devra-t-il faire fermer avant de comprendre la futilité d’une telle tentative? il leur faudrait toute une équipe pour contrôler HSM!»
Malgré les rodomontades en ligne des Chebab, il est aussi possible que cette entrée dans les réseaux sociaux exerce une influence modératrice sur le groupe. Dans un communiqué de presse du mois d’octobre, HSMPress a nié que les Chebab soient responsables d’attaques contre des travailleurs humanitaires au Kenya –actes que le Kenya a utilisés pour justifier son invasion récente. Et le fil Twitter n’a pas une seule fois mentionné al-Qaïda ni incité à l’exercice de la violence contre des civils.
Il semble clair que HSMPress tend à minimiser voire à nier les actes les plus brutaux des milices afin de convertir davantage d’adeptes. Si cette politique permet de transformer certains de ses abonnés en militants, d’autres groupes terroristes pourraient bien l’imiter.

Will Oremus
Traduit par Antoine Bourguilleau

Source: http://www.slate.fr/story/48517/twitter-chebabs-somaliens-strategie-terrorisme

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