Pages

La guerre de l’Ogaden (1977-1978) : un conflit régional éclipsé par la guerre froide (1/3)

Source: Alliance Geostrategique



La guerre de l’Ogaden est d’abord un conflit frontalier opposant la Somalie du général Siad Barre à l’Ethiopie du colonel Mengistu, entrée en révolution en 1974. Elle trouve son origine dans des problèmes anciens concernant les délimitations de frontières au moment de la décolonisation. Elle est aussi provoquée par une opportunité qu’a saisie Siad Barre : celle du chaos et de la désorganisation supposée de l’Ethiopie, secouée par une révolution, et qui doit permettre aux Somaliens de reprendre la province de l’Ogaden. Elle marque surtout un renversement spectaculaire de la position de l’URSS, qui a soutenu jusque là le régime somalien, et qui va désormais appuyer l’Ethiopie agressée par son voisin. L’Armée Rouge profite d’un conflit qu’elle a en grande partie initié, par des livraisons d’armes aux deux camps, pour tester de nouveaux matériels et de nouvelles tactiques militaires sur le champ de bataille. Si la guerre de l’Ogaden s’inscrit parfaitement dans la dimension globale de la guerre froide, il n’en demeure pas moins que ses conséquences seront surtout importante pour les deux Etats africains concernés.

Au départ, un conflit frontalier…
La Corne de l’Afrique dans laquelle prend place ce conflit n’a pas une définition précise : c’est plus une métaphore qu’une réalité politique. Elle comprend l’Ethiopie, l’Erythrée, la Somalie et Djibouti, auxquels sont parfois rajoutées d’autres nations voisines. Ces territoires forment en quelque sorte un pont entre le Moyen-Orient et l’Afrique subsaharienne, dont l’influence géopolitique ne doit pas être sous-estimé. La Corne de l’Afrique est en effet sur le flanc des pays producteurs de pétrole de la péninsule arabique : elle contrôle les détroits de Bab El Manded et une partie du golfe d’Aden par lesquels passent nombre de pétroliers.

La Russie s’intéresse depuis longtemps à cette région. Les premiers contacts, en particulier, avec le royaume éthiopien, sont pris dès la fin du Moyen Age. Au XIXème siècle, pour contrer la mainmise britannique sur l’Egypte et le canal de Suez, la Russie tsariste, convaincue par ailleurs du potentiel économique de l’Ethiopie, y expédie des armes et des conseillers militaires, qui contribuent en partie à la victoire de Ménélik II sur l’Italie à Adoua en 1896. En 1887 par ailleurs, l’Ethiopie a annexé la province du Harar, évacuée par les Egyptiens, puis celles du Haud et de l’Ogaden, peuplées de Somaliens et sous protectorat britannique. Un traité sur les nouvelles frontières est signé entre l’Ethiopie, l’Italie et la Grande-Bretagne en 1897, mais sans consulter les populations somaliennes des provinces concernées, ce qui n’est pas sans conséquences sur la suite des événements.

Les liens russo-éthiopiens se distendent après la révolution bolchevique de 1917, notamment parce qu’un certain nombre de Russes blancs trouvent alors refuge en Ethiopie. Il faut attendre les années 30 pour que des relations commerciales soient rétablies, l’Union Soviétique négociant aussi avec la Somalie française et la colonie italienne d’Erythrée. En 1935, l’URSS dénonce l’invasion italienne de l’Ethiopie par Mussolini à la Société Des Nations, mais devant l’inefficacité de l’institution chargée de garantir la paix, elle préfère sauvegarder ses échanges commerciaux avec le régime fasciste. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’image de l’URSS en Ethiopie va considérablement s’améliorer de par l’agression allemande, la dissolution du Komintern en avril 1943 et enfin, le 4 septembre de la même année, la réhabilitation de l’Eglise orthodoxe par Staline. Des relations diplomatiques sont établies entre l’Ethiopie et l’URSS.

L’empereur Haïlé Sélassié s’oppose alors violemment aux Britanniques après la défaite des Italiens, consommée dès 1941. Ceux-ci conservent en effet un contrôle de l’Ogaden et du Haud, ainsi que de la voie ferrée menant de la ville éthiopienne de Dire Dawa à la Somalie française. Les frontières avec leSomaliland britannique sont redéfinies, mais les Britanniques ne reconnaisssent pas les frontières éthiopiennes avec leur territoire tandis que le traité de 1897 laisse dans le flou la frontière entre l’Ethiopie et la Somalie italienne. Les Britanniques ont installé une administration militaire dans les colonies italiennes reconquises (Somalie, Erythrée), où ils laissent se développer une agitation politique nationaliste. En 1944, ils font cependant un geste en rétrocédant à l’Ethiopie le chemin de fer franco-éthiopien et en retirant leurs garnisons du pays.

Transformé par les enjeux de la guerre froide (1945-1960)
L’Ethiopie, de plus en plus méfiante à l’égard des intentions britanniques, se tourne alors, en 1944-1945, vers les Etats-Unis. La première concession pour l’exploration pétrolière est ainsi donnée à une compagnie américaine, Sinclair. Les Etats-Unis considèrent l’Ethiopie comme un rempart contre le communisme dans cette partie de l’Afrique. Sous leur pression, le Royaume-Uni évacue l’Ogaden en 1948, ce qui provoque des émeutes en Somalie britannique où la Ligue de la Jeunesse Somalienne, formée en 1947, prône la formation d’une « Grande Somalie » incorporant l’Ogaden. De la même façon, l’ONU décide, en 1950, que l’Erythrée sera une unité autonome fédérée au sein du royaume d’Ethiopie. Pour remercier les Américains, Haïlé Sélassié envoie en 1951 un bataillon de sa Garde combattre en Corée ; en mai 1953, un accord concède aux Américains l’installation d’un centre de communications radio à Kagnew, près d’Asmara, en Erythrée. En échange, les Etats-Unis s’engagent à former trois divisions éthiopiennes de 6 000 hommes. Peu de temps après, en 1954, les Britanniques se retirent des derniers territoires qu’ils contrôlaient, le Haud et la Zone des Réserves.

L’URSS ne s’est alors pas beaucoup impliquée dans la Corne de l’Afrique, et considère que l’Ethiopie fait désormais partie du camp occidental, à cause de ses relations avec les Etats-Unis. Cependant, avec la mort de Staline en 1953 et la conférence de Bandung en avril 1955, soutenue par l’Empereur éthiopien, les Soviétiques commencent à réviser leur point de vue. Haïlé Sélassié milite en effet en faveur du panafricanisme qui s’exprime à la conférence des Etats africains d’Accra en 1958. Par ailleurs, il n’est pas fâché d’élargir ses relations avec l’URSS pour faire pression sur les Etats-Unis, d’autant plus que des troubles secouent l’Ogaden depuis sa réincorporation à l’Ethiopie en 1954. Par ailleurs, il durcit sa politique à l’égard de l’Erythrée : après avoir suspendu la constitution et dissout l’Assemblée, il réprime brutalement une grève générale organisée par les syndicats en 1958. Haïlé Sélassié est alors obsédé par la peur de « l’encerclement musulman » de l’Ethiopie, et il estime que les Etats-Unis ne l’en protègent guère. C’est pourquoi, en juin 1959, il est le premier chef d’Etat africain à se rendre en URSS. L’effet est immédiat : l’année suivante, les Etats-Unis, par un accord secret, s’engage à fournir une assistance militaire pour entraîner et équiper l’armée éthiopienne à hauteur de 40 000 hommes.

La naissance de la Somalie : l’escalade des tensions (1960-1969)
Le 1er juillet 1960 marque une date importante dans l’histoire de la Corne de l’Afrique : c’est la naissance de la Somalie, réunion de l’ancien Somaliland britannique et de la colonie italienne de Somalie. Cependant, cet Etat ne correspond pas aux aspirations du nationalisme local puisque plus d’un million de Somaliens se trouvent à l’extérieur de ses frontières, en Somalie française, au nord du Kenya et dans la province éthiopienne de l’Ogaden. Dès le départ, la Somalie refuse de reconnaître ses frontières, ce qui se traduit par exemple, sur le drapeau national, par l’adoption d’une étoile blanche à cinq branches, chaque pointe représentant un segment de la Somalie divisée par les puissances coloniales.

Dès lors, les affrontements entre le nouvel Etat et l’Ethiopie sont croissants. En janvier 1961, après une tentative de coup d’Etat à Addis-Abeba, des accrochages ont lieu à la frontière éthiopo-somalienne, dont les Ethiopiens sortent vainqueur. En décembre, une tentative de coup d’Etat a lieu cette fois en Somalie, sans doute fortement appuyée par le voisin éthiopien. La Somalie réalise alors qu’elle aura besoin, pour appuyer ses revendications, d’une armée professionnelle, qu’il reste à former et à entraîner. Elle se tourne alors vers le camp occidental : mais, en janvier 1961, l’administration Kennedy rejette la demande d’une aide militaire de 9 millions de dollars formulée par Mogadischio. L’URSS se propose alors de remplacer les Américains : des relations diplomatiques avaient été établies en septembre 1960. Un accord est signé avec le Premier Ministre somalien, Ali Shermarke, à Moscou, le 2 juin 1961. Entre 1961 et 1963, les Somaliens jouent en fait la carte soviétique pour tenter d’obtenir l’assistance militaire occidentale.

Mais, en novembre 1963, ils finissent par accepter une proposition soviétique plus intéressante pour eux que ne le sont les propositions américaines, italiennes et ouest-allemandes en particulier : formation et entraînement d’une armée passant de 2 à 10 000 hommes, livraison de matériels plus modernes (chars T-34 et avions de combat MiG-15), entraînement des officiers somaliens en URSS (il y en aura 600 en 1966), établissement d’une mission militaire soviétique à Mogadischio (250 conseillers militaires en 1966).

La stratégie soviétique d’implantation simultanée en Ethiopie et en Somalie commence toutefois à connaître quelques ratés. L’Ethiopie n’a plus besoin de brandir la menace du recours à l’URSS, puisque les Etats-Unis ont répondu à ses besoins, et proposent même de livrer une escadrille de 12 chasseurs F-5. Par ailleurs, l’Ethiopie est un des Etats les plus en vue de l’Organisation de l’Unité Africaine, nouvelle institution installée à Addis-Abbeba en mai 1963. Quant à la Somalie, elle continue de négocier avec les Occidentaux tout en ouvrant de nouveaux rapports avec la Chine populaire, qui n’est déjà plus en bons termes avec l’URSS.

En février 1964, un nouvel incident armé oppose Ethiopiens et Somaliens sur la frontière de l’Ogaden, d’où les premiers sortent à nouveau vainqueurs. De nouveaux combats ont lieu entre les nomades somaliens et les troupes éthiopiennes entre 1964 et 1966. La Somalie suit aussi de très près le résultat du référendum en Somalie française, le 19 mars 1967, où la population choisit de maintenir l’association avec la France, un résultat que Mogadischio dénonce immédiatement comme une fraude électorale.

L’URSS soutient indirectement le principal mouvement de guérilla né en Erythrée en 1961 : le Front de Libération de l’Erythrée (FLE). La Syrie alimente le mouvement en armes et en munitions : entre 1964 et 1967, la guérilla passe de quelques centaines d’hommes mal équipés à 2000 combattants munis d’armes modernes (AK-47, des mortiers et lance-roquettes chinois). Le GQ de l’organisation est située à Damas : la Syrie baasiste soutient, en fait, un mouvement de libération arabe qui combat un régime pro-israëlien. Mais l’URSS donne son accord, car, d’une part, les armes viennent essentiellement de Tchécoslovaquie, et, d’autre part, Moscou veut contrer l’aide apportée au mouvement par la Chine, l’ennemi du camp socialiste. Haïlé Sélassié dénonce publiquement l’aide apportée par les Soviétiques à la rebéllion érythréenne en 1966. A ce moment-là, il est certain que l’URSS valorise davantage sa relation avec la Somalie, préférée à l’Ethiopie.

A la fin des années 60, pourtant, la position de l’URSS au sein de la guerre froide a elle-même changé. Ayant atteint une certaine parité avec les Etats-Unis dans le domaine des armes nucléaires, les Soviétiques ont tendance à vouloir affirmer leur présence dans ce que l’on appelle alors communément le « Tiers-Monde » par des moyens politiques et militaires, et ce sans forcément favoriser, au départ, un régime d’inspiration socialiste.

C’est ainsi que l’URSS appuie militairement le Soudan dès 1968 (livraison de chars T-34 et T-54, de chasseurs MiG-21), et encore davantage après le coup d’Etat militaire du général Numeiry en mai 1969.

L’armée soudanaise, grâce aux livraisons soviétiques, passe de 30 à 50 000 hommes. L’URSS s’installe aussi au Sud-Yémen, d’où les Britanniques se retirent en novembre 1967, pour laisser la place à la République Démocratique Populaire du Yémen (RDPY). Ceci alors même que les Soviétiques se désengagent au Nord-Yémen, où ils soutenaient le régime républicain contre les monarchistes, aux côtés des Egyptiens directement engagés sur place, et qui se retirent eux aussi à la fin de l’année 1967. Par ailleurs, la marine soviétique commence à envoyer régulièrement un certain nombre de ses bâtiments en croisière dans l’Océan Indien. L’URSS cherche ainsi à contrer la menace d’une frappe nucléaire américaine à partir de cet océan, ainsi que l’acquisition par les Etats-Unis, en décembre 1966, de la base de Diego Garcia.

Les Soviétiques, cependant, s’impliquent un peu moins dans la Corne de l’Afrique. Occupée à reconstruire l’appareil militaire égyptien détruit en 1967 pendant la guerre des Six Jours tout en menant la Guerre d’Attrition, attirée par les ouvertures au Soudan ou au Yémen, l’URSS réduit son aide au FLE et les livraisons d’armes à la Somalie, de peur d’une escalade vers un conflit régional. Résultat : le FLE perd du terrain face à une grande offensive éthiopienne lancée en septembre 1967, tandis que les guérillas somaliennes dans l’Ogaden reculent elles aussi. La Somalie cherche alors à négocier avec l’Ethiopie sur la question de l’Ogaden, tout en rétablissant des liens diplomatiques avec le Royaume-Uni en 1967, ce qui alarme l’URSS. Les Soviétiques relancent alors les livraisons d’armes pour le FLE, lequel remporte plusieurs succès contre l’armée éthiopienne en 1969 tout en entamant une politique d’attentats à la bombe et de détournements d’avions à travers le monde pour faire connaître sa cause.

L’arrivée au pouvoir de Siad Barre : une opportunité saisie par l’URSS (1969-1974)
Alors que la position de l’URSS dans la Corne de l’Afrique est au plus bas, le 15 octobre 1969, le Président somalien Ali Shermarke est assassiné par ses gardes du corps. Avant que les instances politiques n’aient pu intervenir, un Conseil Révolutionnaire Suprême est créé par l’armée, dirigé par le général Mohammed Siad Barre, commandant en chef des forces somaliennes. Le Premier Ministre Egal est arrêté, ainsi que de nombreux hommes politiques, tandis que la constitution est suspendue, le Parlement dissous, tous les partis politiques déclarés illégaux. Le pays est rebaptisé République Démocratique de Somalie. Siad Barre entame alors un virage radical à l’intérieur du pays : il expulse les conseillers militaires et les membres de l’ambassade américaine en décembre 1969, puis nationalise en mai 1970 une bonne partie de l’économie (banques, compagnies pétrolières, etc). Le coup d’Etat est accueilli comme une aubaine par les Soviétiques, qui saluent la révolution somalienne tout en la sauvant, par la présence d’une partie de leur flotte à Mogadischio, d’une première tenative de coup d’Etat. Fin 1970, on compte déjà plus de 900 conseillers soviétiques en Somalie.

Si l’URSS n’a pas organisé directement le coup d’Etat des militaires, elle s’est bien gardée d’intervenir : il faut dire que la Somalie souffrait alors des défauts d’un système électoral trop complexe, alors que les négociations avec l’Ethiopie privaient les militaires somaliens de leur raison d’être -l’irrédentisme national et la récupération des provinces peuplées par les Somaliens dans les pays frontaliers.

Le régime de Siad Barre relance d’ailleurs immédiatement la tension sur la frontière avec l’Ethiopie. Des accrochages avaient déjà eu lieu à l’été 1969, dans les mois précédents le coup d’Etat. En 1970 apparaît au grand jour une nouvelle organisation, qui existe en réalité depuis plusieurs années : le Front de Libération de la Somalie Occidentale (FLSO), soutenu par Mogadischio. Ces événements ne sont pas sans inquiéter l’Ethiopie qui doit faire face au regain d’activité du FLE en Erythrée : un gouverneur de district et le commandant de la 2ème division éthiopienne sont tués en 1970. En décembre, l’Erythrée est placée sous la loi martiale, tandis que l’armée multiplie les bombardements aériens destructeurs sur la province. Cependant, les premières scissions commencent à apparaître au sein du FLE, avec deux mouvements qui s’en détachent cette année-là. Par ailleurs, l’Empereur, en reconnaissant la Chine Populaire comme seul Etat chinois le 2 décembre 1971, coupe l’une des sources d’approvisionnement de la guérilla. Sur le papier, à ce moment-là, les forces armées éthiopiennes ont encore l’avantage sur leurs homologues somaliennes : elles disposent d’abord de la supériorité numérique (3 contre 1, et ce même si 15 à 20 000 soldats éthiopiens sont engagés en Erythrée), et d’une des forces aériennes les mieux équipées et les mieux entraînées de l’Afrique subsaharienne, sans égale côté somalien.

L’Ethiopie, pourtant, ne peut plus autant compter sur le soutien américain, alors que les Etats-Unis sont enlisés au Viêtnam et délèguent, avec Kissinger, la responsabilité de se défendre contre le communisme aux acteurs locaux. Le remploi de la « carte soviétique », avec la visite de l’Empereur à Moscou en 1970, ne provoque pas de réaction côté américain : et ce d’autant plus que l’Ethiopie est devenue moins attrayante depuis l’acquisition de la base de Diego Garcia et la mise au point des technologies de communications satellites, qui suppriment l’utilité de la base de communications de Kagnew.

Comparaison entre les forces militaires de l’Ethiopie et de la Somalie, 1969-1970

EthiopieSomalie
Effectifs totaux41 00010 000
CharsEnviron 50 (M-41 et M-24 américains).Environ 150 (T-34 soviétiques).
Véhicules blindésEnviron 40 (plus quelques véhicules de reconnaissance).Environ 60 (dont des BTR-152 soviétiques, plus quelques véhicules de reconnaissance).
Navires de combat12 (un navire d’instruction, 5 patrouilleurs, 2 vedettes lance-torpilles, 4 navires de débarquement).6 patrouilleurs.
Appareils de combat43 (6 Canberra B-2, 12 F-86F, 8 SAAB-17, 8 F-5A, 6 T-28 et 3 T-33).18 (chasseurs MiG-15 et MiG-17).
Autres appareils57 (6 C-47, 2 C-54, 3 Doves, 1 Il-14, 15 SAAB, 19 Safirs, 8 T-28, 3 hélicoptères Alouette).Au moins 27 (20 Yak-11, 6 MiG-15/17 UTI, des C-45, C-47 et 1 An-24 de transport).

Source : Robert G. PATMAN, The Soviet Union in the Horn of Africa. The diplomacy of intervention and disengagement, Soviet and East European Studies 71, Cambridge University Press, 1990.

Entre 1971 et 1974, l’URSS s’implique de plus en plus aux côtés du jeune régime somalien. Les livraisons d’armement s’accélèrent avec notamment l’envoi de chasseurs MiG et de chars T-54, ainsi que de nombreux autres équipements lourds. Les Soviétiques obtiennent une base navale importante à Berbera ainsi que l’accès aux aérodromes somaliens. En 1974, année de la signature d’un important traité d’amitié et de coopération entre les deux pays, on compte 1600 conseillers militaires soviétiques en Somalie. A ce moment-là, l’URSS a perdu les liens privilégiés qu’elle avait avec le Soudan de Numeiry (1971), alors même que le président Sadate en Egypte expulse les conseillers militaires soviétiques (1972).

En 1972, l’URSS choisit donc de renforcer le potentiel militaire somalien : elle expédie des chasseurs MiG-15 et MiG-17, des bombardiers Il-28, des Yak d’entraînement, des Antonov de transport, des chars T-34 et T-54, des véhicules de transport de troupes blindés, des vedettes lance-torpilles P-5 et des quantités de matériels d’artillerie. Avec ces livraisons soviétiques, le potentiel militaire somalien augmente de moitié.

L’URSS bâtit aussi une station navale de premier ordre à Berbera : une jetée flottante à trois sections, un pipeline reliant le port à un aérodrome militaire, un atelier de réparation flottant amené depuis Vladivostok, une station de communication à longue portée, une installation de manipulation de missiles, une piste de 5 000 m de long permettant le décollage de bombardiers Tu-95 Bear ou d’Il-38 May pour la lutte anti-sous-marine sur l’Océan Indien.

Siad Barre renforce la coopération avec l’URSS en se calquant de plus en plus étroitement sur le modèle socialiste. Cela ne veut pas dire que la Somalie devient un simple satellite soviétique : au contraire, le général-dictateur s’inscrit aussi dans un respect des pratiques nationales et des revendications traditionnelles -sur l’Ogaden, par exemple- pas forcément soutenues par l’URSS.

Mais on voit apparaître en 1972 les Pionniers de la Victoire, une organisation inspirée des Komsomols soviétiques ; le Service de Sécurité Nationale, police politique dirigée par le gendre de Siad Barre, le Colonel Ahmed Suleiman Abdulle, est formé avec l’aide du KGB et de conseillers de la RDA. Parallèlement, Siad Barre cherche à obtenir le maximum de soutiens étrangers dans sa lutte de reconquête territoriale sur l’Ethiopie. Il prend fait et cause pour les pays arabes lors de la guerre du Kippour en 1973 et renforce les liens militaires avec l’Egypte. Les relations avec l’Ethiopie restent cependant assez cordiales jusqu’en 1972, Siad Barre coupant même les vivres pendant un temps au FLSO. Mais, à la fin de cette année-là, une compagnie pétrolière américaine affirme avoir trouvé des ressources substantielles en gaz naturel dans le Bale, une partie de la province de l’Ogaden. Les tensions reprennent à la frontière à un moment où la Somalie a commencé à rattraper son retard militaire sur l’Ethiopie. En 1973, les Somaliens alignent plus de 17 000 hommes alors qu’ils n’en avaient que 12 000 en 1970. Les forces éthiopiennes stagnent elles autour de 45 000 hommes. Plus important, sur le plan du matériel, les Somaliens ont acquis de nombreux chasseurs soviétiques, MiG-15, MiG-17 et MiG-19, sans contrepartie du côté éthiopien.

Dans le même temps, l’URSS commence à se rendre compte de la faiblesse du régime impérial en Ethiopie. En 1970, une sécheresse catastrophique entraîne la destruction des récoltes dans le Tigré et dans le Wollo, puis s’étend à l’ensemble du pays. La famine qui suit tue plusieurs centaines de milliers de paysans éthiopiens. En outre, la rébellion en Erythrée s’intensifie, les deux principaux mouvements, le FLE et le Front Populaire de Libération de l’Erythrée (FPLE), se combattent, mais portent aussi des coups très durs à l’armée éthiopienne, soutenue pourtant par des conseillers militaires israëliens spécialisés dans la contre-insurrection. La Syrie et l’Irak soutiennent le FLE tandis que la Lybie du colonel Khadafi appuie le FPLE. Devant ses difficultés, l’Empereur s’envole vers Washington en mai 1973 pour requérir une aide militaire supplémentaire des Etats-Unis. Mais l’administration Nixon ne concède que quelques F-5 supplémentaires, des chars M-60, des navires de patrouille, et non pas les missiles air-sol demandés par Haïlé Sélassié. Les Américains ferment par ailleurs la base de Kagnew en octobre 1973, réduisent leur aide militaire et ne laissent qu’un Military Assistance Advisory Group(MAAG) de 107 hommes, chargé de fournir l’instruction au centre de parachutisme de Dabre Zeit ainsi qu’à l’académie militaire d’Harar. L’Empereur se rapproche alors à nouveau de l’URSS, qui commence à penser que l’Ethiopie est mûre pour la révolution, ressemblant étrangement d’ailleurs à la Russie tsariste de 1917 dans sa configuration socio-économique.

Stéphane Mantoux, Historicoblog

Robert G. PATMAN, The Soviet Union in the Horn of Africa. The diplomacy of intervention and disengagement, Soviet and East European Studies 71, Cambridge University Press, 1990, p.25.
Ménélik II dirige le royaume d’Ethiopie de 1889 à 1913.
La majorité des Ethiopiens suit la religion orthodoxe. Le christianisme a été introduit en Ethiopie dès la fin de l’Antiquité.
Robert G. PATMAN, The Soviet Union in the Horn of Africa. The diplomacy of intervention and disengagement, Soviet and East European Studies 71, Cambridge University Press, 1990, p.33.
Un site américain est dédiée à la station de Kagnew : http://www.kagnewstation.com/
Robert G. PATMAN, The Soviet Union in the Horn of Africa. The diplomacy of intervention and disengagement, Soviet and East European Studies 71, Cambridge University Press, 1990, p.49.
On considère d’ailleurs ces affrontements armés, dans certaines sources, comme la première guerre de l’Ogaden.
Un terme inventé en 1952 par le démographe français Alfred Sauvy qui s’inspire du Tiers-Etat de la Révolution française. Le mot désigne alors les Etats les moins développés de la planète qui n’appartiennent ni au camp occidental, ni au camp socialiste.
Cf mon article sur Historicoblog (3) : « Les malheurs de l’Arabie Heureuse-La guerre au Nord-Yémen, 1962-1970 : le « Viêtnam égyptien »-(2/3) », http://historicoblog3.blogspot.com/2010/11/les-malheurs-de-larabie-heureuse-la.html
Robert G. PATMAN, The Soviet Union in the Horn of Africa. The diplomacy of intervention and disengagement, Soviet and East European Studies 71, Cambridge University Press, 1990, p.82-85.
Nom donné à la période suivant la Guerre des Six Jours (1967-1970), qui voit l’Egypte soutenue par l’URSS affronter Israël de manière limitée.
Robert G. PATMAN, The Soviet Union in the Horn of Africa. The diplomacy of intervention and disengagement, Soviet and East European Studies 71, Cambridge University Press, 1990, p.107-108.
Robert G. PATMAN, The Soviet Union in the Horn of Africa. The diplomacy of intervention and disengagement, Soviet and East European Studies 71, Cambridge University Press, 1990, p.136-143

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire