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LES PARAS BELGES ATTENDUS A KISMAYO, Jeudi 10 décembre 1992

NAIROBI - De notre envoyée spéciale


Si les Marines ont débarqué à Mogadiscio dans le calme, ailleurs dans le pays, c'est l'inquiétude. Les seigneurs de la guerre ont quitté la capitale depuis plusieurs jours pour se replier vers les centres de l'intérieur où ils vident leurs entrepôts et terrorisent les expatriés. Peu soucieux de voir les pillards reculer sur son territoire, le Kenya a fermé ses frontières avec la Somalie. Ce qui complique encore les opérations de secours dans les camps situés à cheval sur les deux pays.

SOIXANTE MORTS À KISMAYO
 



Commandant Omar Jess

A Kismayo, les membres des organisations humanitaires garderont un souvenir amer de la nuit du débarquement: jusqu'à l'aube, le petit port construit naguère par les Italiens a été tenu en éveil par les rafales des mitrailleuses. C'est que le maître de la ville, le commandant Omar Jess, avait entrepris d'éliminer ses rivaux, partisans du général Morgan, avant l'arrivée des troupes étrangères. La veille déjà, un avion américain survolant la ville à basse altitude avait déclenché un drame: des combattants ont tiré des grenades en direction de l'appareil qui n'a évidemment pas été touché. Par contre, trois explosions successives ont fait huit morts et une trentaine de blessés parmi la population civile. Exaspérées par la perspective de l'intervention étrangère, les bandes armées s'en sont alors pris avec un acharnement particulier au centre de nutrition géré par des organisations américaines ou des agences des Nations unies. C'est ainsi que dans un centre de nutrition de l'Unicef plusieurs femmes et enfants ont été abattus à bout portant. Le bilan de cette journée s'est soldé par une soixantaine de morts.


C'est qu'à la rapacité des pillards s'ajoute désormais un élément politique: furieux de n'avoir été ni consultés ni associés aux opérations en cours, les chefs de guerre locaux s'en prennent délibérément aux organisations portant le sigle de l'ONU ou évoquant les Etats-Unis. Durant la nuit, ils ont même attaqué les locaux du CICR malgré la neutralité affichée de l'organisation. Il n'en va pas de même pour MSF Belgique: jusqu'à la veille de leur évacuation les sept membres de l'équipe ont été protégés jusqu'en pleine nuit par leurs collaborateurs somaliens, et un chirurgien expatrié a tenu à demeurer sur place car les blessés affluent à l'hôpital où l'on manque de sang.


A Kismayo, la rumeur évoque l'arrivée prochaine des paras belges qui seraient accompagnés d'un contingent de 200 militaires grecs et d'un nombre indéterminé de soldats français. Les soldats européens prendraient ainsi une certaine distance, fût-elle géographique, avec les Marines américains. Les Belges n'atteindront cependant pas Kismayo dans les tout prochains jours. Ils devraient arriver d'abord dans la capitale, Mogadiscio, où on les attend le week-end prochain, et de là ils gagneraient le petit port, vraisemblablement par la route.

L'expédition risque de ne pas être de tout repos car la route est minée, plusieurs factions s'en disputent le contrôle et un tronçon de l'itinéraire a été inondé lors des dernières pluies. A leur arrivée, les paras risquent cependant de trouver le même calme apparent qu'à Mogadiscio: le commandant Omar Jess a ordonné de cacher toutes les armes dès ce mercredi soir.

Parmi les organisations humanitaires qui ont été obligées d'évacuer sur le Kenya la plupart de leurs équipes travaillant en Somalie, l'opération «Rendre l'espoir» suscite des sentiments partagés. Les expatriés qui opèrent sur le terrain depuis des mois et qui ont noué de nombreux contacts personnels avec les Somalis regrettent de ne pas être suffisamment consultés. Ils constatent que dans les villes de l'intérieur, l'insécurité est devenue extrême car les querelles et les rivalités se multiplient entre les bandes armées.

ÉQUIPE MSF-BELGIQUE ÉVACUÉE

C'est avec amertume aussi que les «humanitaires» constatent que sans aucun avertissement préalable, les Américains ont interdit l'accès aérien à la Somalie, paralysant tous les vols d'approvisionnement ou même l'évacuation de certaines équipes.

C'est de justesse qu'un avion allemand a pu extraire de Kismayo les sept membres de MSF Belgique. S'ils maîtrisent le ciel de Somalie, les Américains ont également envahi les ondes: les fréquences utilisées par les organisations humanitaires sont désormais brouillées et l'information - cordon ombilical entre les équipes disséminées dans le pays - passe de plus en plus difficilement

BRAECKMAN,COLETTE

Source : archives.lesoir.be

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