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Samedi 28 août 1993, LEURS ACTIONS POSITIVES SONT PASSEES SOUS SILENCE, SOMALIE: LES PARAS BELGES ONT LE SPLEEN

Rentrer en Belgique ou rester à Kismayo? Les paras se posent la question. Non sans amertume.


J.F. vient de rentrer de Somalie. Il a le spleen: C'est alors que nous commençons à voir les résultats de notre présence que les critiques se multiplient. Nous ne sommes cependant pas des cow-boys, nous sommes étroitement contrôlés...

J. F., qui dirigeait un peloton à Kismayo et vient de rentrer en Belgique, ne cache pas une certaine amertume devant les révélations qui se multiplient. Il souligne qu'au cours des dernières semaines on a pu constater une amélioration très nette de la situation à Kismayo: Les marchés ont repris, les gens circulent dans les rues... Nous-mêmes, nous avons multiplié les micro-projets: reconstruit des ponts, réparé des routes... Notre spleen est dû aux critiques, mais aussi à des questions de fond: nous nous demandons pourquoi on envoie des paras accomplir des tâches de police ou des missions de coopérant, et surtout, nous avons la certitude que, après notre départ, tout recommencera comme avant.

LÉGITIME DÉFENSE


Photographe : Domange Fernand @ DG Ipr
 J. F. revient aussi sur les difficultés pratiques de la mission: Si nous fouillons les femmes, cela provoque un scandale. Cependant, lorsque Morgan a repris Kismayo, c'est parce que les femmes avaient transporté des grenades sous leurs vêtements. A la fin, nous étions tellement désireux d'éviter les ennuis éventuels que, lorsque nous prévoyions d'aller rechercher des caches d'armes dans un village, nous envoyions un interprète en émissaire, pour prévenir les gens. Autant dire qu'à notre arrivée, toutes les armes avaient été déplacées en brousse... Si le substitut de l'auditeur militaire, M. Franskin, a communiqué à Frédéric François de la RTBF la liste des 36 dossiers relatifs à des dommages causés à des Somaliens, dont 15 affaires qualifiées d'assassinats, de meurtres ou d'homicides involontaires, les paras tiennent à préciser qu'ils n'ont jamais agi qu'en état de légitime défense, ou lorsqu'ils se considéraient menacés: Lorsque nous voyons un Somalien sur un toit, qui semble viser notre convoi et qui ne répond pas à nos sommations, nous avons peu de temps pour décider de ce que nous allons faire, précise J.F., qui rappelle que les Somaliens, outre les pierres quotidiennement jetées, n'hésitent pas à tirer dans le dos des Casques bleus...

Quant à l'auditeur militaire, il rencontre aussi bien des difficultés pratiques à remplir sa mission: les victimes n'ont pas de documents d'identité, des gens se présentent à l'Unosom comme membres des familles afin d'obtenir de l'argent à titre de compensation, les Somaliens, à cause de la guerre civile, n'ont pas l'habitude de porter plainte, de constituer des dossiers. Est-ce à dire que les paras peuvent agir sans contrôle? J.F. assure le contraire: Lorsqu'il y a eu engagement, nous devons faire le décompte de nos munitions, et le chef de section doit établir un rapport détaillé. Il est difficile d'imaginer que des Somaliens aient pu être abattus sans que cela se sache.

Un officier, qui à Bruxelles voit passer tous les rapports de mission, relève cependant que les victimes somaliennes sont nombreuses, et que les chiffres avancés (de 200 à 400 victimes dans la région de Kismayo) n'est pas exagéré: Presque tous les jours nos soldats doivent ouvrir le feu. Préférerait-on qu'ils se laissent tirer dessus lorsqu'ils sont «allumés»?

Les Américains, apparemment, ont moins d'états d'âme: ils sont absorbés par la quète d'Aïdid et parmi les renforts acheminés sur Mogadiscio se trouvent des commandos d' élite Delta, spécialistes du contre-terrorisme et chargés de capturer Aïdid.

PAS AU DELA DU 15 DÉCEMBRE

La polémique sur le comportement des Casques bleus belges en Somalie accentue les états d'âme au ministère de la Défense nationale, où l'on aimerait ne pas prolonger la mission au-delà de la date initialement prévue du 15 décembre. Pour des raisons d'effectifs: le premier régiment para envoyé en décembre dernier doit déjà se préparer à rempiler. Pour des raisons budgétaires surtout: les militaires constatent que la mission en Somalie coûtera beaucoup plus cher que les deux milliards de FB initialement annoncés. Les frais de transmission s'accumulent, les appareils C 130, trop sollicités, risquent de devoir être remplacés plus tôt que prévu, des manoeuvres, des rappels, ont dû être annulés pour raisons budgétaires. En outre, les Nations unies, qui couvrent une partie des frais de l'opération (avec la CEE et la Coopération au développement), tardent à rembourser les sommes avancées... Si certains militaires aimeraient ne pas prolonger au-delà des délais initiaux, si d'autres, avec nostalgie, soulignent que le même effort consenti au Zaïre aurait donné d'autres résultats - là-bas au moins nous aurions été bien accueillis... - tous sont convaincus qu'après leur départ, qui interviendra tôt ou tard, la Somalie retrouvera ses vieux démons, que les bandes armées reprendront leur terrain, ou alors nous devrions nous installer pour des années...


Photographe : Domange Fernand @ DG Ipr
 Partir ou rester? Les militaires savent que la réponse viendra d'ailleurs, du ministère des Affaires étrangères notamment, où le ministre Claes ne souhaite pas que les Belges décrochent avant les autres, alors qu'ils sont parmi les plus appréciés des contingents et que le secrétaire général des Nations unies, M. Boutros Ghali, compte particulièrement sur eux. D'autres envisagent aussi le donnant donnant: s'il fallait retourner au Zaïre, les Belges ne veulent pas le faire seuls. Ils souhaiteraient internationaliser une intervention éventuelle. Et pour obtenir cela, nous devons accepter d'aller en Somalie.

COLETTE BRAECKMAN

Source : archives.lesoir.be

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