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Somalie: l'impossible coopération régionale

Depuis l'entrée des troupes kényanes en Somalie en octobre, les pays de la Corne de l'Afrique se mobilisent pour mettre un terme au règne des shebabs. Mais les Etats peinent à travailler ensemble.

Des soldats ougandais de l'Amison dans le district de Mogadiscio, en Somalie, le 6 février 2012.
REUTERS/Handout .


Depuis maintenant quatre mois, l'attention des pays de la Corne de l'Afrique se porte sur la Somalie. Les réunions se multiplient à Addis-Abeba pour l'Union africaine et l'Igad, l'Autorité intergouvernementale pour le développement, qui regroupe sept pays de la Corne: l'Ethiopie, la Somalie, Djibouti, le Soudan, l'Ouganda, le Kenya et le jeune Soudan du Sud.

Tous s'accordent à le dire: il est temps d'en finir avec les shebabs. Depuis plus de 20 ans la Somalie est en proie à une guerre civile qui déstabilise toute la région. Le mouvement islamiste contrôle maintenant le Sud du pays.

Et l'Ethiopie et le Kenya en font les frais. Ils doivent notamment faire face à un afflux de réfugiés de plus en plus conséquent. Ils sont maintenant plus de 160.000 dans les camps éthiopiens de Dolo Ado. Quant à Dadaab, le camp kényan, il atteint des dimensions gargantuesques avec plus de 400.000 personnes qui y résident.

Lors d'un conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine sur la question début novembre, El Ghassim Wane, directeur du département paix et sécurité, le rappelait:
«L'opération militaire kényane est une opportunité exceptionnelle d'en finir avec le mouvement islamiste. Il faut maintenant intensifier les efforts de la part des pays voisins pour en finir avec al-shabaab

Mais c'est là que le bât blesse. Tout le monde veut en finir, mais personne ne s'accorde sur les modalités pour mettre un terme au conflit somalien.

Amisom, régionalisation et confusion


Depuis la mi-octobre, l'armée kényane est en Somalie. Son objectif est de créer une zone tampon à la frontière afin de mettre un terme aux nombreuses incursions des shebabs au Kenya, qui ont multiplié attentats et enlèvements en septembre. L'opération «Linda Nchi» a surpris tout le monde car elle a été décidée unilatéralement par le Kenya, sans concertation avec les pays voisins. L'Union africaine et l'Igad n'avaient plus qu'à acter la chose.

Les deux institutions, malgré leur réunionite aigüe sont pour l'heure témoins d'une régionalisation du conflit qui se fait à leur barbe. Après les Kenyans, ce sont les troupes éthiopiennes qui ont traversé la frontière somalienne mi-décembre. Malgré des témoignages sur le terrain, les autorités éthiopiennes ont choisi de garder leur opération secrète pendant une dizaine de jours.

C'est finalement à l'issue d'une réunion de l'Igad qui appelait encore l'Ethiopie «à prêter main forte à l'Amisom, la mission militaire de maintien de la paix de l'Union africaine en Somalie», qu'un haut responsable éthiopien a reconnu «une petite incursion de quelques semaines afin d'assister les forces kényanes».

Cela fait des semaines que l'Union africaine et l'Igad appellent au renforcement de l'Amisom. Seul Djibouti avait jusqu'alors répondu favorablement. Près de 850 soldats djiboutiens devraient venir soutenir les 9.700 ougandais et burundais de l'Amisom, d'ici à la fin de l'année.

L'Amisom, à contre-coeur


Embourbés depuis un mois à cause des pluies, à quelques kilomètres de Kismayu, un port somalien stratégique pour les shebabs, les Kényans ont finalement accepté de se déployer sous la bannière de l'Amisom. Il fallait donc cela pour que plus d'un mois après son offensive militaire, le Kenya lance une offensive diplomatique et demande non seulement le soutien de ses voisins mais aussi celui des Nations Unies.

Il en va de la santé financière de cet Etat, en pleine année électorale (les présidentielles doivent se tenir en 2012)... Le Kenya dépenserait environ 200 millions de schillings par mois (environ 1.700.000 euros) dans cette guerre, alors qu'il accuse un déficit record de 236 milliards de schillings (soit 2 milliards d'euros).

Le pays n'a plus vraiment les moyens de faire cavalier seul en territoire somalien. Entrer dans le contingent de l'Amisom permettrait au Kenya de bénéficier des fonds que les Etats-Unis, la Chine et l'Union européenne fournissent à l'opération de maintien de la paix.

Quant à l'Ethiopie, elle n'a guère d'autre choix après le fiasco de sa dernière incursion somalienne en 2006. Soutenue par les Etats-Unis, elle s'était lancée dans une campagne militaire pour déloger alors les tribunaux islamiques. Elle en était repartie bredouille en 2009, après s'être elle-même enlisée suite aux pluies et avoir créé un terrain favorable à l'émergence du mouvement shebab.

L'opération militaire éthiopienne avait été très mal vécue par les populations somaliennes qui l'avaient perçue comme une croisade des chrétiens en territoire musulman. Quelques années plus tard, les shebabs jouent la même carte pour exalter leurs partisans.

«Le chemin que vous prenez aujourd'hui est le même que celui qui vous a amené hier à goûter à la mort, à la douleur des balles et aux souffrances de la guerre», ont-ils averti dans un communiqué peu après l'incursion éthiopienne.

«Vous avez depuis longtemps l'ambition de prendre le contrôle de la Somalie, mais nous vous disons que la société musulmane n'acceptera jamais de vivre sous la colonisation. Tant qu'il y aura encore un soldat chrétien en Somalie, nous n'arrêterons jamais de lutter».

Se déployer sous la bannière de l'Amisom reste donc l'unique solution de l'Ethiopie pour atténuer le sentiment d'agression somalien et éviter de réitérer les erreurs du passé. D'ici la fin de l'année, l'Union africaine a promis que les forces de l'Amisom s'étofferont pour atteindre les 12.000 soldats.

Gaëlle Laleix

Source : http://www.slateafrique.com/82353/difficile-regionalisation-du-conflit-somalien

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