Le 3 décembre 1992, alors que les chefs de guerre alors au pouvoir et leurs combattants accaparent l’aide humanitaire, l’ONU vote la Résolution 794 autorisant l’envoi d’une force militaire pour instaurer les conditions de sécurité nécessaires aux opérations humanitaires en Somalie. Le 9 décembre, les militaires de l’UNITAF (United Allied Forces) débarquent dans le cadre de l’opération Restore Hope. Filmée par les caméras des grands médias internationaux, l’arrivée des soldats américains sur les plages somaliennes se fait avec la conviction que la mission se déroulera sans problème. Pour le président Bill Clinton fraîchement élu, ses équipes de la Maison Blanche et le Pentagone, elle est en effet techniquement facile – bien plus facile en tout cas qu’une mission en ex-Yougoslavie, qu’il s’agit alors d’éviter en intervenant en Somalie – car jamais les bandes armées somaliennes n’oseront s’opposer à une force bien organisée et bien équipée. Mieux, le relief plat parcouru d’épineux épars incite l’administration américaine à considérer qu’il sera très difficile pour les chefs de guerre de monter des embuscades contre les unités escortant les convois de ravitaillement dans l’intérieur du pays (1).
Les débuts de la mission internationale semblent confirmer les anticipations de l’administration américaine mais, rapidement, la mission des forces armées se transforme en une tentative pour écarter les chefs de guerre d’un hypothétique processus de paix et une campagne infructueuse contre le général Muhammad Farah Aïdid, membre du clan Hawiye et chef du Congrès de la Somalie Unie depuis juillet 1991 (2). Dans ce contexte, la situation sur le terrain se tend. Le 5 juin 1993, 24 soldats pakistanais sont tués et, douze jours plus tard, un détachement français doit intervenir pour porter secours à des troupes marocaines encerclées. Ces affrontements culminent avec les événements des 3 et 4 octobre 1993, durant lesquels deux hélicoptères américains UH-60 et 18 militaires des forces spéciales sont tués. Malgré le retrait des unités américaines, les troupes de l’ONU, devenues entretemps par la Résolution 814 du 26 mars 1993 ONUSOM II, restent sur place jusqu’au 6 mars 1995. À ce moment, la situation est pourtant loin d’être réglée. Durant les deux années d’intervention de l’ONU, les Américains et la communauté internationale ont fait preuve d’une totale méconnaissance de la situation locale et de son fonctionnement. Certes, les médiateurs internationaux ont envisagé de s’appuyer sur les clans pour obtenir la cessation des combats, mais ils ont placé sur un pied d’égalité les représentants de l’ensemble des factions sans tenir compte des usages alors en vigueur et de la représentativité et des rapports de force entre les différents clans. Plus grave, la force internationale n’a pas compris – ou pas voulu comprendre – que les chefs de guerre étaient également des chefs de clans (3).
Lorsque la Somalie revient sur le devant de la scène après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis privilégient ainsi une approche indirecte, maritime d’abord puis terrestre. En 2002, ils mettent en place la Combined Task Force 150 (4) dans le cadre de l’opération Enduring Freedom en Afghanistan, dont l’une des missions est de mener des opérations maritimes dans le golfe d’Aden et sur la côte orientale de la Somalie. Quelques années plus tard, ils appuient également auprès de l’ONU l’Éthiopie dans ses projets d’intervention pour rétablir l’autorité du gouvernement fédéral de transition. L’entrée des forces éthiopiennes dans Mogadiscio le 28 décembre 2006 ne met cependant pas fin aux combats et, lorsqu’elles quittent le pays le 26 janvier 2009, les 8 000 soldats de l’AMISOM, mandatés par l’Union africaine et chargés de la relève, ne contrôlent qu’une petite partie de la capitale.
Notes
(1) Jean-Christophe Mabire, ibid., p. 66.
(2) Pendant le règne de Siad Barré, Aïdid a occupé le poste d’ambassadeur en Inde et de directeur des services secrets somaliens, avant d’être arrêté et emprisonné pendant six années pour traîtrise. Le Congrès de la Somalie Uni a été créé en 1989 avec pour objectif de mettre fin au pouvoir de Siad Barré.
(3) Jean-Christophe Mabire, art. cit., p. 68.
(4) Force opérationnelle navale multinationale dont le quartier général se trouve à Bahreïn, la Combined Task Force 150 est chargée d’assurer une mission de surveillance de l’océan Indien afin de dissuader et d’empêcher les déplacements de groupes terroristes et de lutter contre les trafics qui les financent. En janvier 2009, une autre force internationale, la Combined Task Force 151, est mise en place pour lutter tout particulièrement contre la piraterie au large de la Somalie.