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Abdulkader, «pirate» somalien naufragé dans les rues de Paris

15/06/2012  
Abdulkader Guled Saïd a quitté vendredi à 2 h 30 du matin la maison d'arrêt de la Santé, où il a purgé quatre ans et deux mois de détention provisoire.
Abdulkader Guled Saïd a quitté vendredi à 2 h 30 du matin la maison d'arrêt de la Santé,
où il a purgé quatre ans et deux mois de détention provisoire.
Crédits photo : Albert Facelly pour le Figaro/Albert Facelly pour le Figaro

 

Acquitté jeudi soir dans le procès des pirates du Ponant, Abdulkader Guled Saïd a été relâché après quatre ans de détention provisoire. Il se retrouve à la rue, sans un sou et avec un grave préjudice psychologique.

Acquitté par la Cour d'assises de Paris pour la prise d'otages du Ponant , voilier de croisière attaqué en 2008 au large du Puntland, Abdulkader Guled Saïd, Somalien de 34 ans, a quitté vendredi à 2 h 30 du matin la maison d'arrêt de la Santé, où il a purgé quatre ans et deux mois de détention provisoire.
Outre deux ballots de vêtements, l'administration lui a donné en tout et pour tout un «kit indigent» contenant un ticket de métro, cinq tickets repas et une carte de téléphone portable avant que ce «pirate» somalien ne soit relâché sur le pavé de Paris. «C'est un énorme gâchis et une tragédie, a confié au Figaro l'un de ses avocats, Me Augustin d'Ollone. Sans papier et livré à lui-même, ne parlant un mot de français, il a trouvé refuge chez une compatriote venue à l'audience et qui lui a offert l'hospitalité pour une seule nuit.»
Avec son confrère Grégory Saint-Michel, l'autre conseil du «pirate» naufragé, Me d'Ollone s'apprête à financer une chambre d'hôtel pour éviter que leur client ne couche sous les ponts. Les avocats vont prendre attache avec le ministère de l'Intérieur, celui de la Justice ainsi que le tissu associatif pour essayer de trouver une «solution humaine d'hébergement, juste un lit dans un foyer ou ailleurs».

Graves troubles psychologiques

Abdulkader Guled Saïd, modeste pêcheur de langoustes dans l'océan Indien, ne savait pas où était la France quand il avait posé le pied à la base Dugny, en Seine-Saint-Denis en 2008. En demandant par geste où il était, un officier lui avait alors pointé l'Hexagone sur un planisphère. Déboussolé, ce pêcheur de langoustes dans l'océan Indien avait demandé s'il pouvait rentrer chez lui à pied.
Fils d'un vendeur de chameaux, il présente depuis lors de graves séquelles psychologiques de son séjour en prison. «Pendant deux ans, notre client n'a pu parler à personne dans sa langue maternelle, hormis une ou deux heures dans le mois quand ses avocats venaient avec des traducteurs, observe Me Augustin d'Ollone. Ses surveillants ont mis plusieurs semaines avant de comprendre qu'il voulait se faire couper les cheveux...»
Souffrant d'un isolement total, déraciné et désorienté, le détenu a développé le syndrome de Ganser, sévère psychopathologie carcérale liée à l'isolement. Commençant à entendre des voix, Abdulkader Guled Saïd a notamment été retrouvé nu dans les cours de promenade, pris de crises de paranoïa de l'empoisonnement. Il s'est mis à boire du shampoing. «En quatre ans et demi derrière les barreaux, il n'a reçu qu'une lettre, écrite par son frère pour lui annoncer le décès de son père, raconte Me d'Ollone. Marié et père d'un garçonnet âgé de 4 ans lorsqu'il a été capturé par les forces spéciales françaises, le «pirate» n'a jamais revu sa famille, dont il n'a aucune nouvelle.

Détention abusive

Au moment du verdict jeudi soir, le Somalien a accueilli sa remise en liberté sans ciller. «Il est complètement apathique et sous traitement médicamenteux délivré par un psychiatre des prisons, précise l'avocat. On lui aurait annoncé une condamnation à perpétuité, il n'aurait peut-être pas réagi davantage.» Ne demandant rien depuis qu'il est dehors, Abdulkader Guled Saïd ne sait même pas s'il peut retourner dans son pays, où il risque la mort.
Dans le cadre d'une procédure pour détention abusive, ses avocats pourraient demander au minimum entre 300.000 et 500.000 euros de dommages et intérêts.
Outre Abdulkader, deux autres Somaliens ont été remis en liberté à l'issue du procès. L'un, Abdurahman Ali Samatar, a été lui aussi acquitté tandis que l'autre, Youssouf Hersi, a été condamné à quatre ans. Une peine couverte par la longue période de détention provisoire. Pour ces pirates aussi, commence une nouvelle vie de galère.

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