C'est M. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général des Nations unies, qui exprimait ainsi le caractère ambigu des missions des casques bleus.
Il entendait par là que les missions de l'ONU étaient très différentes des missions militaires traditionnelles où l'on se bat contre un ennemi déclaré et des troupes reconnaissables, mais aussi que le recours à la force, donc l'emploi des armes, ne pouvait être exclu. M. Boutros-Ghali reconnaissait également, au cours d'une conférence donnée à Bruxelles le 22 avril dernier, que, dans des situations aussi complexes que la Bosnie ou la Somalie, l'ONU devait faire évoluer ses missions traditionnelles de Peace keeping (maintenir la paix) vers le Peace enforcement (imposer la paix par la force). Dans le premier cas, il s'agit en théorie de maintenir une paix établie avec l'accord de toutes les parties en conflit et les casques bleus ne peuvent guère alors utiliser la force que pour leur légitime défense. C'est la situation que connaît notre bataillon «Belbat» dans la Baranja, en ex-Yougoslavie. Dans le second cas, notamment en Somalie, l'ONU autorise l'emploi de la force, non seulement en cas de légitime défense, mais aussi pour l'accomplissement de la mission. C'est l'application du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Cet emploi de la force n'est bien sûr autorisé qu'avec retenue et pour autant que cela s'avère nécessaire.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que pareille mission entraîne des victimes si l'on veut que le désarmement des bandes rivales soit mené à bonne fin et que la paix rétablie permette de progresser vers l'objectif humanitaire qui reste la seule finalité de l'intervention.
On ne peut répandre le doute au sujet de la légitimité et de l'opportunité des missions confiées à nos casques bleus.
Le droit et le devoir d'ingérence, récemment mis en avant, doivent être reconnus par toute nation civilisée. Les missions de nos casques bleus sont parfaitement justifiées, moralement, juridiquement et politiquement.
En ce qui concerne le recours à la force, certains le contestent et estiment que l'emploi des moyens militaires est incompatible avec une mission humanitaire. Ils doivent alors admettre que les massacres, voire les génocides, vont se poursuivre. Cela n'est pas acceptable si les droits de l'homme ont un sens.
D'autres souhaitent mener des actions plus agressives contre les fauteurs de troubles et certains pays n'hésitent d'ailleurs pas à utiliser des armements lourds qui ne peuvent éviter des victimes plus nombreuses.
La voie à suivre est donc étroite et sinueuse, et je crains que, pour résoudre ces problèmes d'une énorme complexité, il n'y ait pas de solution simple qui ne soit simpliste.
Pour notre part, nous estimons que nos casques bleus doivent accomplir leur mission avec résolution, en toute neutralité par rapport aux factions rivales, recourant à la force avec la plus grande mesure mais aussi chaque fois que le justifie leur propre sécurité. Leur conduite doit être guidée par le strict respect des règles d'engagement édictées par l'ONU et qui sont connues de chacun d'eux. Ceci correspond à la volonté du commandement à tous les échelons et au comportement de la toute grande majorité de nos casques bleus.
Si quelques-uns parmi ceux-ci (plus de 6.000 soldats belges ont participé jusqu'ici à des missions ONU) ont dépassé les limites autorisées, ils ne sont nullement représentatifs du comportement de leur unité et ils devront répondre de leurs actes. Encore faut-il, avant de les condamner, connaître les circonstances exactes des faits reprochés et tenir compte des conditions particulièrement difficiles dans lesquelles la mission est exécutée: fatigue, stress, provocations, banditisme, risque pour leur sécurité... Cette tâche incombe à la justice militaire, d'ailleurs présente sur le terrain depuis le début des opérations, avec toute la sévérité et la sérénité qu'on lui connaît.
Nous ne pouvons accepter une généralisation abusive au départ de quelques cas isolés et encore moins sur la base de témoignages anonymes. Il n'est pas admissible non plus que chaque Somalien tué au cours des affrontements avec les casques bleus, dans le strict respect des règles d'ouverture du feu imposées par l'ONU, soit présenté en victime d'un assassinat. L'action de nos soldats de la paix a fait jusqu'ici l'objet de multiples éloges des milieux internationaux, pour les résultats obtenus mais aussi pour leur comportement et leur approche de la mission.
Celle-ci est basée notamment sur le recours aux «elders», les anciens, pour expliquer leur action à la population et obtenir sa collaboration. Nos casques bleus n'ont pas attendu l'aboutissement de la phase militaire en cours pour entreprendre divers projets à caractère humanitaire, dont l'ampleur est certes limitée mais qui peuvent amorcer la pompe d'un développement ultérieur: réouverture d'écoles, travaux routiers, redémarrage de l'agriculture, assistance médicale, remise sur pied d'une police locale, etc.
Bravo à nos casques bleus qui méritent nos encouragements. Nous tenons à leur redire toute notre confiance.
JEAN BERHIN
Lieutenant général, chef d'Etat-major
de la Force terrestre
(1) Ndlr: «Le maintien de la paix n'est pas une tâche pour les militaires, mais seuls les militaires peuvent l'assurer.»
Source : archives.lesoir.be