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Somalie : aux origines contemporaines de la conflictualité régionale

05 novembre 2011

Au nom du principe de légitime défense, le Kenya s’est engagé, fin octobre, en terres somaliennes. Une armée peu expérimentée, mais soutenue par des puissances extérieures, face à une guérilla aguerrie, dans un pays hostile qui a déjà éprouvé la première puissance mondiale.

 


Cinq après l’intervention de l’armée éthiopienne (une armée de qualité et d’expérience) contre les Tribunaux islamiques, les Kenyans prennent à leur tour directement part à la crise somalienne et rompent ainsi leur « neutralité ». Une neutralité déjà entamée en mars 2011, quand l'armée kenyane participa à des combats dans la zone frontalière (Jubbaland). Ce billet, se propose de revenir sur les relations de la Somalie avec ses voisins après les indépendances. Une analyse courte (non un travail de recherche) sur la position des pays de la Corne de l’Afrique, au moment des indépendances, face au défi de l’irrédentisme somali.

Au moment des indépendances l’enjeu pour les pays voisins de la Somalie était de conserver un certain équilibre régional. Au lendemain de la seconde guerre mondiale Éthiopie se réapproprie l’Ogaden (1948) et le Hawd (1955). Mais la réunification de la Somalie italienne et de la Somalie britannique (1) en 1960 réveille le nationalisme pansomali. Les revendications unificatrices des trois autres régions habitées par les Somalis (dans la région éthiopienne de l’Ogaden, Djibouti et le nord-est du Kenya) se multiplient. En 1961, le Parlement somali déclare les régions peuplées de Somalis terra irredenta. Si les incidents sont de faible intensité au départ, ils s’amplifient jusqu’aux rébellions de 1963-1964 en Ogaden, la guerre de Shifta au Nord du Kenya entre 1963 et 1968 et la guerre de l’Ogaden en 1978 (billet de Stéphane Mantoux ICI).
Ces évènements expliquent (outre les raisons historiques et culturelles anciennes) pourquoi les pays frontaliers de la Somalie conservent une certaine méfiance envers les Somalis (2). Si les relations avec Djibouti sont restées relativement paisibles, il en fut autrement avec l’Ethiopie et le Kenya.

La politique étrangère de l’Ethiopie est particulièrement remarquable à cet égard.

Aux lendemains des indépendances, et profitant de son « statut » d’unique pays africain à ne pas avoir été colonisé (3), elle voit dans l’unité africaine un moyen de réaliser le dessein continental de l’empereur Haïlé-Sellassié mais surtout de protéger ses intérêts nationaux, ainsi que son intégrité territoriale, tout en affirmant son poids stratégique dans la région. En effet, la résolution finale de la Conférence des peuples africains de Tunis (du 25 au 30 janvier 1960) énonçait qu’«après avoir soigneusement passé en revue la situation dans le territoire de Somalie artificiellement divisé, la Conférence salue et appuie la lutte du peuple du territoire de Somalie pour l'indépendance et l'unité afin de créer une Grande Somalie (4) ». Un positionnement inacceptable pour l’Ethiopie. Elle entreprend alors d’étouffer les tendances qui faciliteraient ce type de velléités et, pour ce faire, prend la tête des partisans de l'unité africaine, jusqu’à obtenir en 1963 sa version de la Charte et l'adoption de la localisation du siège de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) à Addis Abeba.

De son côté, la Somalie était particulièrement réticente aux dispositions prises par l’OUA en 1963.

En effet, pour Abdullah Osman, son Président, « l’histoire a montré que l’obstacle majeur à l’Unité africaine provient de frontières politiques artificielles que les puissances colonialistes ont imposées dans des zones importantes du continent africain [la Somalie s’oppose à ceux pour qui] toute tentative d’adaptation des accords frontaliers actuels ne ferait qu’aggraver la situation et que, par conséquent, les choses ne devront pas changer. Nous ne partageons pas ce point de vue et pour plusieurs raisons (5) ». Tout en affirmant paradoxalement : « il ne doit exister aucun malentendu sur nos intentions. Le gouvernement somali n’a pas d’ambitions territoriales et n’a pas l’intention de revendiquer un agrandissement de son territoire. Mais, en même temps, nous ne pouvons pas attendre des habitants de la République qu’ils restent indifférents à l’appel de leurs frères. C’est pourquoi, le gouvernement somali doit demander instamment l’autodétermination pour les régions somalies qui sont adjacentes à la République Somalie. L’autodétermination est une pierre angulaire de la Charte des Nations Unies et nous devons nous y souscrire. Si les Somali de ces régions ont la possibilité d’exprimer librement leur volonté, le gouvernement de la République s’engage à respecter leur décision (6)». Le pays inscrit même dans sa première Constitution cet objectif de réunion des populations somalies en accordant automatiquement la citoyenneté aux Somalis vivants sur les territoires ne faisant pas encore partie de la République (7). En réponse le Premier ministre éthiopien, Aklilou Habte Wolde, dénonça en 1963 la « campagne d'agrandissement territorial (8)» de la Somalie.

Pour les Kenyans les revendications nationalistes somalies pouvaient être contenues.

Pourtant la province du Nord Est (9) peuplée de Somalis tenta de faire sécession, alors qu’un référendum favorable à cette sécession, et commandé par une commission chargée justement de redessiner les frontières, n’avait pas été pris en compte. Les Somalis du Kenya lancent en décembre 1963 une insurrection appelée shifta soutenues par le gouvernement somalien. Cette sécession fut contenue entre autres par l’instauration de lois d’exception et une assistance militaire des Britanniques.
Néanmoins l’histoire s’accélère. En 1969 un coup d’Etat en Somalie porte au pouvoir le nationaliste Siyaad Barre qui cristallise les revendications somalies autour du concept de « Grande Somalie (10) » . Ce concept devient un enjeu central et débouche sur une guerre en 1977, à l’issue de laquelle la Somalie sort battue face à l’Ethiopie en raison du fameux retournement d’alliance de l’Union soviétique.

Figure 1 : L’irrédentisme somali (la « Grande Somalie » et l’étoile à cinq branches du drapeau somalien représentant les régions peuplées de Somali)






Cette période des années 1970, en pleine Guerre froide, a été particulièrement tendue. Plus la discorde augmentait plus la course aux armements s’accélérait. A titre d’exemple, en Somalie les troupes passent de 4000 hommes en 1969 à 53 000 en 1977, en Ethiopie elles passent de 65 000 à 1976 à 250 000 en 1980. Les premières agitations diplomatiques, post-indépendances, dans la Corne de l’Afrique sont donc pour protéger l’intégrité territoriale des Etats des velléités unificatrices du peuple somali. Mais d’autres oppositions régionales instrumentaliseront la crise somalienne jusqu’à aujourd’hui.

Notes :
1 juillet 1960 : Acte d’Union de la Somalie italienne et du Somaliland britannique avec pour président Aden Abdulla Osman (un Hawiye).
2 La Somalie est peuplée majoritairement de Somali (plus de 85% de la population) et d’une minorité de non Somali comme les Bantous, descendant d’esclaves, ou des agriculteurs de la période pré-somali. Pour une synthèse sur ce point : Martin Hill, « No redress: Somalia’s forgotten minorities », Rapport, Minority Rights Group International, 2010, 40p.
3 Seule la partie Nord de l’Ethiopie, l’Erythrée, fût une colonie italienne mais l’expansion italienne est arrêtée lors de la bataille d’Adwa en 1896. Puis l’Italie fasciste n’occupera qu’une partie de l’Ethiopie entre mai 1936 et mai 1941.
4 Edmond Jouve, « L'Organisation de l'Unité Africaine », Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 31-32.
5 Actes de la Conférence d’Addis Abeba, p.117, publiés dans la Revue internationale de l’Union africaine et malgache, n°5 (spécial), 1963.
6 Ibid., Actes de la conférence d’Addis Abeba, p.117-118
7 Constitution du 1er juillet 1960, article 6, §4 : « La République somalienne œuvrera par des moyens légaux et pacifiques, pour l’union des territoires somalis et favorisera la solidarité des peuples africains et musulmans », cité pat Boutros Ghali Boutros, « Les conflits de frontières en Afrique », Paris, Techniques et Economiques, 1972, p.97
8 Discours du Premier ministre d'Ethiopie à la conférence d'Addis Abeba, mai 1963. Reproduit par B.Boutros Ghali, Op.Cit., p. 47-61.
9 Créée à partir de l’ancien « Nothern Frontier District » et réunissant les districts majoritairement somali : Garissa, Mandera, Wajir et une partie de Moyale.
10 Un projet britannique à l’origine, proposé par Ernest Bevin, le ministre travailliste des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, en 1946 pour réunir sous la tutelle de Londres tous les territoires habités par le peuple somali

Source: Good Morning Afrika

Quand la « menace fantôme » devient réalité : invention et concrétisation du terrorisme islamiste en Somalie

Stéphane Mantoux (Historicoblog) qui participe régulièrement à l'Alliance Géostratégique nous propose un article particulièrement complet sur l'islamisme en Somalie.


 


La Somalie, depuis la chute du dictateur Siad Barre en 1991, a souvent fait les gros titres des média internationaux pour leurs thèmes de prédilection : guerre civile, luttes entre clans, crise humanitaire, Etat failli, et maintenant repaire de terroristes islamistes. De fait pourtant, l'islamisme à la sauce Al-Qaïda, n'a commencé à s'implanter durablement qu'en 2006. Cette année-là, l'Union des Tribunaux Islamiques écrase une coalition fantoche de seigneurs de guerre armés par la CIA et étend son contrôle sur le centre et le sud de la Somalie, avant d'être mise à bas en décembre de la même année par une intervention de l'armée éthiopienne, toujours soutenue par les Etats-Unis. Depuis lors, des groupes radicaux comme Al-Shabaab et Hizbul-Islam combattent le gouvernement fédéral de transition somalien dirigé depuis janvier 2009 par Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, l'ancien chef des Tribunaux Islamiques chassés du pouvoir en 2006, et représentant un courant plus « modéré » et surtout plus traditionnel de l'islam somalien. Alors qu'après les attentats du 11 septembre, les affrontements en Somalie relevaient encore des logiques propres à la guerre civile déclenchée en 1991, certains acteurs locaux et régionaux (Ethiopie et seigneurs de guerre en particulier) se sont emparés de la rhétorique terroriste pour obtenir ressources et soutiens variés 1 afin de soutenir leurs propres ambitions

Mogadishu March 21, 2012




A Somali soldier secures the area around a car blast that exploded, after Somali police discovered it near the Shaqalaha intersection along Makka Al-mukarama road in Mogadishu March 21, 2012. The car bomb exploded in the heart of the Somalian capital Mogadishu on Wednesday, wounding two people and triggering bursts of gunfire from police, witnesses said.

Source: MP.net

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Terroristes et pirates : frères d'armes ?

05 août 2010

On le craignait depuis longtemps mais les liens entre pirates et terroristes seraient presque avérés selon le député Christian Ménard (ICI).
 Les experts des services de renseignement s'intéressent particulièrement à cette évolution, convaincus que l'élargissement du recrutement des pirates à des franges plus politisées, ainsi que l'accroissement de leurs moyens, a pu faire évoluer les motivations. Ainsi, pour Christian Ménard, « actuellement, la DGSE et d'autres services de renseignement pensent que les choses ont changé. Au tout début, les Chebabs ont lutté contre la piraterie. On se rend compte qu'il existe aujourd'hui des clans et des sous-clans qui très vraisemblablement s'entendent avec les pirates. Une partie des rançons serait affectée à ces ententes. On n'a pas encore de preuves, mais si cela était avéré, ce pourrait être très grave... ».


Il poursuit, « Au Puntland, au nord-est de la Somalie, une partie de l'argent provenant de la piraterie est recyclée sur place, l'autre au Kenya. Et on sait que des éléments d'al-Qaida ou des bandes affiliées à al-Qaida s'y trouvent... Ce dont on est sûr, c'est que la pauvreté n'est pas la cause première de la piraterie. Un exemple: les revendications du MEND, mouvement soi-disant politique du golfe de Guinée, visent à ce que la manne pétrolière soit plus équitablement répartie. Mais ce ne sont que des gangsters qui n'agissent qu'au nom de leurs propres intérêts. La piraterie est synonyme d'argent facile et on se retrouve face à de véritables mafias. »


Dans son premier rapport (ICI), le député Christian Ménard recommandait la mise en œuvre d’une approche globale.

Sur le plan militaire il préconisait des mesures visant à rendre ces attaques plus risquées et plus coûteuses pour les pirates :
- En s’appuyant sur la résolution 1851 des Nations-Unies la communauté internationale pourrait mener ponctuellement des interventions à terre de type policier en ciblant par exemple les navires suspects et en avertissant que tous ceux qui seront retrouvés en mer seront détruits.
 Nous nous interrogeons sur la possibilité pour ces policiers d'aller sur le terrain... Rappelons que la société somali est structurée par son organisation clanique. L’autorité et les solidarités sont issues du lignage agnatique. L’étranger n’a pas de réalité sociale. Ces notions doivent être prises en compte avant de faire intervenir des étrangers sur ce territoire. .
- En renforçant la présence navale et aérienne afin de mieux couvrir les zones à risque.

- En utilisant des drones – comme le font les américains de la Task force 151 –pour renforcer les moyens de surveillance.



Dans le domaine civil : 

- accroissement de l’aide au développement de la Somalie en combinant le soutien à la restauration de l’État de droit et les aides directes et conditionnelles à la population. 

- consolidation des capacités judiciaires des États côtiers comme le Kenya pour juger les pirates. 

- aide afin que la Somalie puisse recouvrer sa souveraineté maritime et à exploiter ses ressources, longtemps pillées, dans le domaine de la pêche.


En soi des recommandations pleines de bon sens .... (de bons sentiments ?) qui nous semblent être des solutions toutes faites peu adaptées au contexte particulier de la région.



Le nouveau rapport du député est attendu à la rentrée et se veut complémentaire au premier "plus centré sur un aspect juridique afin afin d'empêcher que les pirates détenus ne soient plus automatiquement relâchés" note le député.



Il rappelle que les pirates ont des modes opératoires différents selon qu'ils sont dans le Golfe de Guinée, Malacca ou Aden: « Là où les pirates somaliens n'hésitent plus à s'éloigner très loin de leurs côtes - grâce à un bateau-mère auquel ils accrochent deux bateaux rapides, ils parviennent à descendre à près de 1.000kilomètres au sud - leurs homologues du golfe de Guinée mènent leurs attaques à proximité des plates-formes de forage pétrolier, dans la limite des 12 milles des eaux nationales. Mais ils opèrent de la même façon avec des lance-roquettes et toute l'artillerie qui va avec... ».


Pour une définition de l'approche globale voir le compte rendu de l’IHEDN qui organisait le 6 mai 2010, une table ronde sur le sujet : ICI


Sources : Défense et environnement / Le Télégramme

L'échec de l'AMISOM

20 février 2011

L’AMISOM était initialement envisagée comme une opération transitoire jusqu’au déploiement d’une force onusienne or aucune des étapes prévues par le mandat de la mission n’a été réalisée. Initialement planifié pour un déploiement de six mois, le mandat de l’AMISOM a été prorogé de six mois à plusieurs reprises. La résolution 1964 du 22 décembre 2010 le prorogeant jusqu’au 30 septembre 2011.
Les résolutions 1744, et 1772 du Conseil de sécurité de l’ONU précisent les objectifs de la mission :




- « Favoriser le dialogue et la réconciliation en Somalie en concourant à assurer la liberté de mouvement, les déplacements en toute sécurité et la protection de tous ceux qui prennent part au dialogue;
- Assurer, le cas échéant, la protection des institutions fédérales de transition afin qu’elles soient en mesure d’assumer leurs fonctions et veiller à la sécurité des infrastructures clefs ;
- Aider, selon ses moyens et en coordination avec d’autres parties, à la mise en œuvre du Plan national de sécurité et de stabilisation et en particulier au rétablissement effectif et à la formation des forces de sécurité somaliennes sans exclusive ;
- Contribuer, à la demande et selon ses moyens, à la création des conditions de sécurité nécessaires à l’acheminement de l’aide humanitaire ;
- Protéger son personnel, ainsi que ses locaux, installations et matériel, et assurer la sécurité et la liberté de mouvement de son personnel.»


Roland Marchal propose, de façon cinglante, d’appeler la mission AMIMOG au lieu d’AMISOM car il est surtout question de la capitale somalienne. Ce mandat est particulièrement ambitieux dans un tel environnement d’insécurité et ridiculement faible en troupe. A titre indicatif si on voulait atteindre le même ratio troupe/population qu'en Afghanistan il faudrait déployer 40 700 soldats… Or les Shebaab multiplient les attaques contre les troupes de l’AMISOM et découragent les autres pays de contribuer au renfort. De fait le quota de troupes autorisé (8100) n’a été atteint qu’en décembre 2010. Pourtant le Nigeria, le Malawi et le Ghana s’étaient engagés à envoyer des troupes.


Cantonnée au rôle de protectrice des Institutions fédérales de transition, elles-mêmes contestées, la mission s’exposait dès le départ aux attaques des insurgés. Peut-on même parler de maintien de la paix alors que le conflit est en cours ? En Somalie il n'y a pas de paix à maintenir puisqu'il n'y a même pas d'accord de paix. La mission n’a pas, par nature, vocation à résoudre le conflit. Initialement elle devait consolider la victoire militaire éthiopienne de décembre 2006 puis la normalisation issue du processus de Djibouti (2008). Cependant lors des accords de Djibouti, les islamistes se sont divisés entre d’un côté Cheikh Sharif Cheikh Ahmed (clan Hawiye Abgal), de l’aile modérée de l’Alliance pour la Relibération de la Somalie (ARS) devenue de fait ARS-Djibouti et élu président du Gouvernement d’Union National (GUN) par le Parlement en janvier 2009. Et de l’autre côté Hassan Daher Aways (clan Hawiye Haber Gedir Ayr) dirigeant d’Hizbul Islam (le parti de l’Islam (8)) fondé en février 2009 en réaction à l’élection de Cheikh Sharif Cheikh Ahmed (photo). Ce groupe est une coalition de quatre groupes islamistes opposés au président somalien jugé trop modéré : l’Alliance pour la Re-libération de la Somalie-Asmara issue de la scission de l’ARS au moment de la conférence de Djibouti, Muaskar Ras Kamboni, Jabhatul Islamiya, Muaskar Anole.

Par ailleurs en protégeant le GFT contre les insurgés islamistes, l’AMISOM manque à son rôle fondamental de neutralité et d’impartialité. D’autant plus que le GFT a lui-même échoué à mettre en place un processus de réconciliation. Les dissensions entre ce gouvernement et la communauté internationale sont significatives à cet égard. Le mandat du Parlement qui devait expirer en août 2010, tout comme celui du GFT a été prolongé, début 2011, de trois ans sans que cette « non-transition » soit débattu avec les partenaires du gouvernement comme l’ONU. Or le GFT a perdu toute légitimité auprès de la population incapable d’instaurer un minimum de sécurité. La survie du GFT dépend plus du soutien de la communauté internationale que des Somaliens. L’AMISOM pâtit aussi de ce manque de légitimité. Les Shebaab profitent des bavures de la mission pour activer leur propagande anti-GFT et anti-AMISOM. Force est de constater que les islamistes ont réussi à se faire passer auprès de la population pour un mouvement de résistance opposé à ce qui est dorénavant perçu comme coalition Ethiopie/GFT grâce à une propagande bien mené et facilité par l’échec de la stratégie de communication du gouvernement de Cheikh Sharif Cheikh Ahmed.




Face à la pression exercée par les insurgés sur les forces de l’AMISOM, le président de la Commission de l’UA, Jean Ping, a demandé un mandat plus offensif. Le 15 octobre 2010 le CPS de l’UA appelait à un renforcement des troupes : 20 000 hommes pour la composante militaire, 1680 éléments de police, un blocus naval et une zone d’interdiction aérienne au-dessus de la Somalie. L’UA voulait également financer la mission au moyen des contributions obligatoires, qui seraient mises à disposition de la mission à l’intérieur et à l’extérieur de la Somalie.

Cependant la résolution 1964 de décembre 2010 a autorisé l’augmentation des troupes mais uniquement un supplément de 4000 troupes (soit 12000 au total). La mission dépend toujours directement des donateurs. Cette insuffisance et l’imprévisibilité du financement est aussi un facteur dissuasif pour les potentiels contributeurs de troupes. L’ONU dans la résolution 1964 le rappelle elle « engage les donateurs à coopérer étroitement avec l’Organisation des Nations Unies et l’Union africaine afin que les fonds et le matériel voulus deviennent disponibles rapidement, notamment en ce qui concerne la solde à verser aux membres des contingents de l’AMISOM, le soutien logistique autonome et les dépenses afférentes au matériel appartenant aux contingents, en particulier le matériel meurtrier ». En effet, l’AMISOM n’est ni équipée, ni organisée, ni employée pour mener une lutte armée. La logistique ne le permet pas : pas de capacité maritime ou aérienne, difficultés d’approvisionnement en munitions, en matériel militaire et en pièce de rechange.


Source: Good Morning Afrika

Enfin la chute des Shabaab en Somalie ?

15 septembre 2011

Quand les médias occidentaux, sensibilisaient encore l’opinion publique, au drame humanitaire qui touche une partie de la Corne de l’Afrique, un autre sujet fut également médiatisé (très relativement il est vrai) : le retrait des Shabaab de Muqdisho. Cet évènement inaugure-t-il un tournant stratégique dans la lutte contre le jihadisme en Somalie ?


Le 6 août 2011, le président somalien annonçait le retrait des Shabaab de Muqdisho. Pour le porte-parole du mouvement radical, Sheikh Ali Mohamud Rage, ce retrait est tactique et temporaire, les radicaux conserveront leurs positions dans le reste du Sud de la Somalie (le Somaliland étant indépendantiste et le Puntland autonomiste). Néanmoins les difficultés du mouvement sont-elles temporaires ? Peuvent-elles expliquer ce retrait ? Plusieurs facteurs interviennent :

1) L’offensive des forces de l'Union africaine (Amisom) et des troupes gouvernementales, contre les Shabaab menée depuis plusieurs semaines sur le marché stratégique de Bakara, bastion des insurgés, et dans le nord-est de la capitale, a mis à mal les efforts des Shabaab. Acculé, le mouvement extrémiste aurait perdu une centaine d’hommes. Par ailleurs, il souffrait de difficultés d’approvisionnement en munitions et de difficultés financières, entre autres parce que les transferts de fonds venus des Etats-Unis se tarissent.


2) Il existait de nombreuses divisions internes. Ces divisions furent exacerbées par la gestion de la sécheresse et l’accès aux zones, sous leur contrôle, aux humanitaires. La manne financière liée à la mobilisation internationale est aussi devenu un véritable enjeu. A titre illustratif, les extrémistes réclamaient 10 000$ de taxes pour l’accès à une zone qu’ils contrôlaient, auxquels il s’agit d’ajouter 10 000$ de frais d’enregistrement, plus 6 000$ tous les 6 mois et 20% de taxes sur les marchandises importées sur leurs zones (y compris la nourriture). Même les populations sont taxées et certains chefs guerre se taillent de véritables principautés. Cet été, les Shabaab ont réclamé 30$ par hectare de terres irriguées aux agriculteurs vivant le long du Juba dans la région du Lower Juba (en rouge sur la carte). (ICI, ICI, et ICI)
3) Des divisions aussi, quant aux objectifs du mouvement. Lorsque les Shabaab ont traité le président du Gouvernement Fédéral de Transition (GFT) de traitre et d’apostat, Ben Laden s’en ait fait l’écho, comparant Cheikh Sharif Cheikh Ahmed au président Afghan, Hamid Karzai, et appelant au “jihad” contre son régime. Puis, le mouvement a prêté allégeance à al-Qāʿida (septembre 2009), mais les liens semblent plus symboliques qu’effectifs. Cette déclaration s’inscrit dans une volonté des fondamentalistes somaliens de s’aligner sur l’agenda global de la nébuleuse terroriste et d’être reconnus comme l’une de ses « filiales », tout en restant indépendants. Elle implique l’arrivée de combattants extérieurs et l’apparition d’un discours jihadiste menaçant les pays voisins. L’État islamique voulu en Somalie par certains groupes militants dépasse les frontières actuelles de l’État et englobe des régions peuplées de Somalis, en Éthiopie et au Kenya notamment (Grande Somalie), d’autres souhaitent lutter comme le GFT perçu comme illégitime. Des divisions claniques apparaissent aussi, paradoxalement il reste à espérer que ces divisions claniques, qui font aussi obstacle à l’émergence d’un pouvoir central en Somalie, et que dénonce officiellement le discours trans-clanique des intégristes, seront aussi celles susceptibles de les faire tomber.

 


4) Les difficultés rencontrées ces derniers mois furent également exacerbées par des défaillances au sein de l’appareil de commandement. Ainsi, la mort en juin de Fazul Abdullah Mohamed, le cerveau des attentats du Kenya et de Tanzanie en 1998, les blessures de Bilal al Berjawi, le cerveau des attentats de Kampala en juillet 2010, celles de l’émir Ibrahim Afghani, la mort de cinq commandant fin juillet, ont affaibli le mouvement. Des changements ont rapidement eu lieu dans le leadership, ainsi Ibrahim Haji Jama Mee'aad , un Somalo-américain, est devenu le chef des Shabaab, à la place d’Ahmed Godane. Ce dernier serait devenu responsable des affaires étrangères et des relations avec al-Qāʿida à la place de Fazul Abdullah Mohammed.


Ainsi, la guerre se poursuit (ICI et ICI) et les Shabaab cherchent déjà de nouveaux soutiens à l’extérieur et misent sur la diaspora. Ils gardent toujours le contrôle d’une large partie de la Somalie du Sud où sévit la famine. Par ailleurs, les armes continuent d’arriver par le Yémen. Si l’AMISOM et les troupes somaliennes ont repris le contrôle des zones délaissées par les Shabaab à Muqdisho, des craintes apparaissent quant à une possible résurgence des chefs de guerre sur ces zones (ICI). Ces chefs auraient d’ailleurs toujours à leur disposition des milices. Celles-ci furent même utilisées dans la bataille de Mogadiscio ces dernières semaines.
Enfin, et surtout, les ingérences étrangères se poursuivent.


 


Et tant que le conflit qui oppose l’Ethiopie à l’Erythrée ne sera pas réglé, toute résolution de la crise somalienne sera compromise. En effet, ce conflit persistant est au cœur de la déstabilisation de la Corne de l’Afrique. Après la guerre de 1998-2000, un accord de paix est signé le 18 juin 2000suite à la médiation de la présidence algérienne de l'Organisation de l’Union Africaine. Elle prévoit la mise en place d'une commission frontalière chargée de délimiter et démarquer la frontière. Les deux parties acceptent, par avance, la décision de la commission comme définitive et contraignante et le 13 avril 2002, la commission arbitrale attribue Badme à l’Erythrée.Dès lors l’Éthiopie, qui a militairement gagné la guerre, refuse la décision et laisse ses troupes dans cette région, qu’elle occupe depuis le XIXème siècle. Depuis, le processus de paix est en panne et l’Erythrée reproche à la communauté internationale de n’avoir rien fait à l’encontre de l’Éthiopie pour la forcer à appliquer la décision de la cour d’arbitrage. Ce positionnement a entrainé au fil des ans la radicalisation du régime érythréen. Il sert aussi l’Ethiopie qui en période de crise interne utilise la rhétorique nationaliste pour renforcer sa légitimité interne.
Il est fondamental d’analyser ce conflit pour comprendre la politique étrangère des acteurs étatiques régionaux. Les protagonistes de ce conflit ont, par la suite, interféré dans le conflit somalien. Et ils contribuent toujours à l’attiser.
Source: Good Morning Afrika