La Somalie, depuis la chute du dictateur Siad Barre en 1991, a souvent fait les gros titres des média internationaux pour leurs thèmes de prédilection : guerre civile, luttes entre clans, crise humanitaire, Etat failli, et maintenant repaire de terroristes islamistes. De fait pourtant, l'islamisme à la sauce Al-Qaïda, n'a commencé à s'implanter durablement qu'en 2006. Cette année-là, l'Union des Tribunaux Islamiques écrase une coalition fantoche de seigneurs de guerre armés par la CIA et étend son contrôle sur le centre et le sud de la Somalie, avant d'être mise à bas en décembre de la même année par une intervention de l'armée éthiopienne, toujours soutenue par les Etats-Unis. Depuis lors, des groupes radicaux comme Al-Shabaab et Hizbul-Islam combattent le gouvernement fédéral de transition somalien dirigé depuis janvier 2009 par Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, l'ancien chef des Tribunaux Islamiques chassés du pouvoir en 2006, et représentant un courant plus « modéré » et surtout plus traditionnel de l'islam somalien. Alors qu'après les attentats du 11 septembre, les affrontements en Somalie relevaient encore des logiques propres à la guerre civile déclenchée en 1991, certains acteurs locaux et régionaux (Ethiopie et seigneurs de guerre en particulier) se sont emparés de la rhétorique terroriste pour obtenir ressources et soutiens variés 1 afin de soutenir leurs propres ambitions
Comment l'islamisme s'est-il implanté en Somalie ? Les Tribunaux Islamiques représentaient-ils vraiment une menace pour les Etats-Unis dans leur guerre contre le terrorisme islamiste ? Quelle est la part de récupération et d'instrumentalisation des acteurs locaux et régionaux dans l'utilisation du vocabulaire terroriste appliqué à la situation en Somalie ? Ces mêmes acteurs n'ont-ils pas employé ce lexique à leurs propres fins ? La puissance du mouvement Al-Shabaab actuellement ne serait-elle pas directement issue d'une application tronquée d'un schéma binaire terroristes/anti-terrroristes au conflit somalien ? Autant de questions auxquelles cet article se propose d'apporter quelques réponses, à partir d'analyses de spécialistes.
Quel islamisme en Somalie ?
Qu'est-ce-que l'islamisme en Somalie ? Le terme islamisme désigne d'abord l'adhérence stricte aux sources écrites de l'islam reconnues comme telles (Coran, Hadith, commentaires autorisés) et surtout l'application des principes de l'islam dans le domaine politique qui remonte au moins au XVIIIème siècle. Aujourd'hui, et ce depuis les années 70, le terme a tendance à désigner le rejet de toute modernité occidentale, qui a souvent donné naissance à des mouvements terroristes comme Al-Qaïda. Mais l'action islamiste peut prendre différentes formes, de groupes sociaux réformateurs à des structures militant pour le djihad. Il y a des islamistes nationalistes tout comme des djihadistes combattant pour un projet d'envergure mondiale. Le seul but commun entre les différentes approches est peut-être l'instauration d'un Etat islamiste, régi par la charia, mais les stratégies pour y parvenir diffèrent du tout au tout.
En Somalie, où le soufisme est majoritaire, l'islam radical prêché par Al-Qaïda est loin d'être populaire. Même au sein de l'islamisme local, le groupe réformateur domine, et les militants radicaux ont peiné à gagner le soutien de la population jusqu'à récemment 2. Car entre 2006 et 2009, les interventions extérieures au conflit somalien se sont multipliées. En réaction à l'offensive éthiopienne soutenue par les Etats-Unis, Al-Qaïda avait lancé un « e-djihad », avait appelé les combattants islamistes à travers le monde à soutenir les militants somaliens. Cette implication a gagné en puissance avec l'ascension du groupe radical Al-Shabaab, initialement, en 2005, réduit à une poignée de combattants, pour devenir en 2009 la force dominante dans le centre et le sud de la Somalie. En mai 2008, le nouveau leader du groupe a ostensiblement réclamé le soutien d'Ousama Ben Laden. Les stratégies du groupe se sont calquées sur celles d'Al-Qaïda : attentats-suicides, utilisation d'engins explosifs improvisés (IED), décapitation d'otages et de prisonniers, afflux de volontaires étrangers ainsi que de membres de la diaspora somalienne à travers le monde. Ainsi, le traditionnel affrontement du « bien » contre le « mal », de l'Islam contre l'Occident, s'est finalement implanté en Somalie, rejoignant paradoxalement un discours véhiculé par les média, encore largement infondé jusqu'en 2006. La propagande et la violence ont conduit à simplifier en un mode binaire une réalité politico-militaire beaucoup plus complexe. Car l'islamisme somalien est des plus fragmentés, mais c'est bien l'intervention des Etats-Unis en 2006 suivie par celle d'Al-Qaïda qui ont jeté les bases de la guerre qui ravage encore, en 2010, la Somalie.
Dans ce pays, l'islam se caractérise par l'ancrage de traditions locales et de pratiques syncrétiques, comme les pèlerinages sur les tombes des saints effectués par les soufis ou la célébration de l'anniversaire du prophète Mahomet (le Mawlid), toutes choses abhorrées par les salafistes 3 et les wahhabites4. L'infiltration progressive dans la Corne de l'Afrique de ces dernières doctrines et de l'islamisme radical passe en particulier par l'influence arabe, notamment celle des Frères musulmans dans sa version soudanaise. Les organisations de charité islamiques ont joué un grand rôle dans cette diffusion, notamment en Somalie où l'Etat s'est retrouvé largement défaillant pour assurer certains fonctions primordiales. Cette expansion est facilitée par l'arrivée au pouvoir en 1989 du Front National Islamique au Soudan, pouvoir qui se maintient pendant une dizaine d'années. Le Soudan est alors le coeur d'une campagne d'islamisation basée sur une interprétation salafiste visant à toucher d'autres cercles que ceux lettrés et intellectuels ; le pays est le coeur de l'islam radical en Afrique dans les années 905.
Sous le régime du dictateur Siad Barre (1969-1991), l'islamisme politique avait été interdit et pourchassé en Somalie. C'est seulement à la chute du dictateur (1991), qui déclenche la guerre civile, que celui-ci va pouvoir se manifester. Le groupe le plus important est assurément Al-Itihad Al-Islam (AIAI), fondé dans le secret dès les années 80, mais qui s'affiche au grand jour au début de la guerre civile en prenant le port de Kismayo. L'AIAI en est cependant bientôt chassé par les troupes du seigneur de guerre Mohamed Farad Aideed 6, du sous-clan Haber Gedir du clan Hawiyé7, malgré une tentative d'alliance avec le clan Darod, clan d'origine d'ailleurs de Siad Barre. Cette première défaite montre deux faiblesses du groupe : un manque de soutien populaire, et des rivalités claniques qui déchirent l'organisation en interne. L'AIAI gagne pourtant un précieux personnage : le colonel Hassan Ahir Daweys (membre des Haber Gedir), envoyé comme négociateur par Aideed avant la prise de Kismayo, et qui se rallie à l'AIAI.
L'AIAI combat ensuite au nord-est de la Somalie contre les troupes du colonel Yusuf, futur président du Gouvernement Fédéral de Transition somalien. Encore une fois battu, le groupe se replie alors dans le sud-ouest, s'empare de la ville de Luuq et d'une bonne partie de la région Geedo, près de la frontière ethiopio-somalienne. D'autres s'installent plus au sud, près de la frontière kényane et du port de Ras Kamboni. Une fraction de l'AIAI, dirigée par Sheikh Ali Warsame, décide même de se convertir à l'action civile et sociale au Somaliland. Hassan Ahir Daweys est devenu au milieu des années 90 le chef militaire de l'AIAI ; avec un autre leader, Hassan Abdullahi al-Turki, il mène des opérations à partir de l'ouest somalien dans la région éthiopienne de l'Ogaden, largement peuplé de populations somaliennes, contre les troupes d'Addis-Abeba. La capacité militaire de ce groupe sera cependant réduit à néant par une offensive éthiopienne en 1996. Une autre fraction dirigée par Sheikh Mohamed Ise s'installe à Mogadischio et se cantonne à la politique sous le nom d'Al Itisam. On y trouve déjà à ce moment-là quelques salafistes 8.
Parallèlement à l'AIAI mais sans lien direct avec lui, s'amorce alors en Somalie l'ascension des tribunaux islamiques. Le premier apparaît dans le nord de Mogadischio en août 1994, contrôlé alors par le seigneur de guerre Ali Mahdi Mohamed (du clan Hawiyé, sous-clan Abgal) ; le tribunal est dirigé par le Sheikh Ali Dheere, du même clan. Le tribunal fonctionne alors selon les voeux du seigneur de guerre, en assurant en particulier l'ordre public contre la petite délinquance. Dès que le tribunal essaye de prendre un peu d'indépendance, Ali Mahdi Mohamed le dissout. D'autres tribunaux islamiques s'installent néanmoins dans la ville de Beledweyne, au sein de la région Hiiran, et dans d'autres endroits en Somalie. Les tribunaux islamiques n'arrivent à s'implanter dans le sud de Mogadischio, au-delà de la « ligne verte », qu'après la mort, en 1996, du grand seigneur de guerre Mohamed Farad Aideed, qui s'était temporairement allié à l'AIAI mais restait plus proche de l'islam traditionnel soufi somalien, tout en menant les miliciens du sous-clan Haber Gedir des Hawiyé. Le sous-clan Saleban des Haber Gedir fonde le premier tribunal islamique dans la partie méridioniale de la capitale en mai 1998, suivi par les sous-clans Ayr et Duduble 9. Ces tribunaux islamiques du sud de Mogadischio sont plus que leurs prédécesseurs du nord reliés au mouvement islamiste politique, transnational et à leurs réseaux de financement, notamment par la présence d'anciens membres d'AIAI. Dès le départ, les tribunaux islamiques sont relativement indépendants des chefs de faction et reçoivent le soutien marqué des chefs de sous-clans et des commerçants locaux. Ils se mettent ainsi à remplir les fonctions d'un véritable gouvernement, rendant plus sûrs de nombreux quartiers de Mogadischio. Les tribunaux islamiques ne sont alors pas marqués par l'extrémisme ; ils jugent selon la charia, mais ne recourent pas tous à certains châtiments corporels comme l'amputation. Ils évitent de se mêler des querelles politiques qui pourraient vite dégénérer en vendettas inter-claniques. Cependant, certains des tribunaux islamiques sont déjà des bastions de l'islamisme : Aweys, le chef militaire de l'AIAI, dirige ainsi le tribunal Ifkahalane au sud de Mogadischio.
En 2000, les différents tribunaux islamiques s'unissent dans un conseil joint dont le but est d'abord de fédérer les milices pour traquer les criminels. Il sert aussi les ambitions politiques de certains chefs comme Aweys, qui en devient le secrétaire général. L'influence des tribunaux islamiques s'étend alors à travers la capitale et ses alentours, notamment en raison de la sécurité qu'ils pourvoient. C'est particulièrement net dans la région du Bas-Shabele et dans la cité portuaire de Marka, fief des Ayr des Haber Gedir. Un des membres du sous-clan Ayr, Sheikh Yusuf Mohamed Siyad, aide à consolider l'emprise des tribunaux islamiques dans la région. De manière générale, ce sont bien les Ayr qui semblent dominer cette alliance des tribunaux islamiques de la capitale. Cette même année, la conférence de paix à Djibouti installe un Gouvernement National de Transition comme gouvernement officiel de la Somalie, présidé par Abdiquasim Salad Hassan (Hawiyé, Haber Gedir). Celui-ci essaye d'intégrer les tribunaux islamiques à son système de gouvernement en forçant les juges à passer des examens contrôlés par ses instances, mais les membres des tribunaux islamiques préfèrent démissionner que de participer à ce gouvernement. En 2004, le Conseil Suprême des Tribunaux Islamiques, connu plus tard en 2006 sous le nom d'Union des Tribunaux Islamiques, est institué pour coordonner l'action des tribunaux à Mogadischio. Son dirigeant est Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, un ancien instituteur du sous-clan Abgal des Hawiyé qui avait relancé un tribunal islamique dans les quartiers nord de Mogadischio. Les différentes milices réunies se montent alors à 400 combattants. Dans le même temps, le Gouvernement National de Transition s'est effondré et a été remplacé après des discussions au Kenya par le Gouvernement Fédéral de Transition. L'Union des Tribunaux Islamiques est alors la force la plus puissante dans Mogadischio. Seulement quelques-uns des dix à onze tribunaux qui la composent sont pilotés par l'islamisme. Le premier tournant en faveur des radicaux intervient en 2005, lorsqu'Aadan Hashi Ayro est nommé chef de la milice du tribunal Ifkahalane, celui d'Aweys, dont il est d'ailleurs un proche ; quelques mois plus tôt, Ayro avait fait la une de la presse internationale en profanant un cimetière italien de l'époque coloniale de la ville de Mogadischio. Ayro devient bientôt le chef de l'organisation de la jeunesse des Tribunaux Islamiques, regroupant quelques militants jeunes et décidés : Al-Shabaab 10. Cette organisation, rassemblant des jeunes gens d'une vingtaine d'années, a aussi l'avantage de recruter parmi tous les clans somaliens, sans distinction.
L'implantation plus franche de l'islamisme radical et politique ne se fait pas sur du vide. Des contacts existaient entre les islamistes internationaux, Al-Qaïda et les radicaux somaliens. Aweys lui-même a voyagé au Soudan et rencontré Hassan al-Turabi, le grand leader islamiste soudanais, favorisant sans doute l'installation de Ben Laden sur place entre 1992 et 1996. Mohamed Atef, un dirigeant important d'Al-Qaïda, est venu en Somalie dès 1992 dans l'espoir d'obtenir l'alliance des islamistes locaux, mais sans succès 11. D'autres membres d'Al-Qaïda sont venus pour tenter de faire de la Somalie une base arrière pour leurs actions, sans y parvenir non plus ; on sait aujourd'hui qu'ils se sont heurtés aux mêmes difficultés que les troupes de l'ONU et des Américains pendant l'opération Restore Hope (1992-1995) : méfiance envers des étrangers, important une version de l'islam très différente du soufisme somalien, luttes de clans et de sous-clans, faiblesse du gouvernement ne leur assurant aucune protection contre les interventions extérieures et la criminalité rampante sur place. Pourtant, les attentats en Tanzanie, au Kenya et en Ethiopie entre 1996 et 2002 ont probablement bénéficié du « corridor somalien », permettant d'acheminer armes, matériel et combattants, tout en servant de refuge après les attaques. Des radicaux somaliens ont été entraînés sur place par des combattants étrangers ; certains Somaliens sont allés en Afghanistan pour recevoir une formation militaire de la part du régime contrôlé par les talibans. Toute cette infrastructure est en grande partie démantelée après les attentats du 11 septembre 2001 par peur de représailles des Etats-Unis.
L'Ethiopie, traditionnel rival et voisin de la Somalie, s'implique très tôt dans le combat contre l'islamisme radical. L'AIAI avait opéré dans les années 90 au sein de l'Ogaden, province éthiopienne frontalière et traditionnellement disputée entre les deux Etats, où vit une importante population d'origine somalienne 12. Lorsqu'une guerre se déclenche entre l'Ethiopie et l'Erythrée, par ailleurs elle aussi ancienne province éthiopienne, en 1998, le gouvernement d'Asmara appuie l'AIAI. La rivalité régionale Ethiopie/Erythrée va alimenter le conflit somalien : la première appuie le GFT tandis que la seconde soutient les Tribunaux Islamiques, puis l'insurrection armée après la chute de ceux-ci. Après les attentats de 2001, les Etats-Unis et leur bras armé, l'Ethiopie, mènent des opérations clandestines d'élimination et d'enlèvement des principaux dirigeants islamistes à Mogadischio en recrutant des seigneurs de guerre et leurs hommes pour accomplir « le sale travail ». Cette guerre souterraine entre 2002 et 2005 renforce par contrecoup la popularité des Tribunaux Islamiques et le sentiment anti-américain dans la capitale. Les groupes islamistes radicaux somaliens s'engagent alors, eux aussi, dans une stratégie d'assassinats ciblés de leurs adversaires sur tout le territoire, du Somaliland au sud somalien : c'est en particulier l'oeuvre des Shabaab.
Fin 2004, l'installation du Gouvernement Fédéral de Transition présidé par Abdullahi Yusuf va encore aviver un peu plus les tensions. Yusuf, ancien président de la région indépendante du Puntland (1998-2004), appelle en effet à l'intervention de troupes étrangères dans le sud somalien. Par ailleurs, Yusuf fait partie du clan Darod/Majerteen auquel le clan Hawiyé de Mogadischio est particulièrement hostile. Enfin, il a la réputation d'être un anti-islamiste acharné : il avait écrasé l'AIAI dans le nord-est somalien en 1992, tuant des centaines de militants islamistes, ce que n'ont pas oublié les anciens combattants du mouvement qui ont rejoint les Tribunaux Islamiques. Par ailleurs, le GFT de Yusuf est largement porté à bout de bras par l'Ethiopie 13.
L'islamisme politique a donc pris racine à partir de la guerre civile déclenchée en 1991, mais reste largement hétérogène et divisé jusqu'en 2005. Les points de vue divergent quant à la manière de parvenir au pouvoir ; par ailleurs, tous les personnages importants doivent tenir compte du problème clanique, dans la continuité de la guerre civile. Les radicaux n'ont pas beaucoup de soutien, jusque là, dans la population. Tout change avec l'installation du GFT qui reçoit une reconnaissance internationale en dépit d'un manque évident d'appui populaire, sauf dans la région du Puntland, d'où est originaire son président, Yusuf. La stratégie anti-terroriste des Etats-Unis, qui va largement passer par l'Ethiopie, contribue à la radicalisation du petit groupe de militants djihadistes, noyau du futur déchaînement de violence sur le territoire somalien.
L'ascension des Tribunaux Islamiques : le début de la montée des périls en Somalie (février-décembre 2006)
Les Etats-Unis décident, début 2006, de forger une coalition de seigneurs de guerre à Mogadischio afin de contrôler ce qu'ils estiments être la « menace islamiste », tout en éliminant les membres d'Al-Qaïda qui auraient trouvé refuge en Somalie. L'Alliance pour la Restauration de la Paix et Contre le Terrorisme est le nom ronflant donné à cette coalition ; les seigneurs de guerre de la capitale cherchent avant tout à reprendre le contrôle, lucratif, des ports et commerces dont les ont privés les tribunaux islamiques. Financée par la CIA à hauteur de 100-150 000 dollars par mois, l'armement de l'Alliance se fait via la compagnie privée de sécuritée américaine Select Armor 14 basée en Virginie. Le casus belli va être, d'ailleurs, rapidement trouvé. Une rivalité de longue date oppose l'homme d'affaires Abukar Oman Adane, du sous-clan Abgal des Hawiyé, et son concurrent Bashir Rage pour le contrôle du port de El Ma'an à Mogadischio. Adane choisit de rejoindre les Tribunaux Islamiques alors que Rage s'associe à l'Alliance des seigneurs de guerre financée par la CIA. Les combats commencent en février et durent jusqu'en juin, provoquant plusieurs centaines de morts dans la population civile et des milliers de réfugiés ; finalement, les Tribunaux Islamiques écrasent leur adversaire. Les affrontements ont encore une fois permis aux miliciens des Shabaab de se distinguer, tout comme leur chef, Ayro. C'est la première fois depuis des années qu'un pouvoir politique contrôle entièrement Mogadischio. Les premiers rapports sur l'activité des Tribunaux Islamiques dans la capitale sont très positifs : les miliciens éliminent les check-points, nettoient les rues, l'aéroport et le port principal de la capitale sont réouverts. Ahmed et Aweys, les deux leaders, gagnent une publicité internationale, le premier étant présenté comme chef des modérés, le second passant plutôt pour représenter l'aile radicale. Mais les choses sont un peu plus complexes.
L'Union des Tribunaux Islamiques s'étend alors au centre et au sud de la Somalie ; le GFT est confiné dans la ville de Baydhabo, à 250 km au nord-ouest de Mogadischio. Les Ethiopiens se ruent alors au secours du GFT qu'ils tiennent à bout de bras ; des conseillers militaires sont d'abord expédiés sur place, puis, dès le mois d'août 2006, des troupes éthiopiennes investissent la zone tenue par le GFT en Somalie. De son côté, l'Union des Tribunaux Islamiques reçoit armes et équipement de l'Erythrée, encore une fois du côté des adversaires de son propre ennemi. Des négociations ouvertes entre les deux parties à Khartoum échouent, notamment en raison de la montée en puissance des radicaux au sein de l'Union des Tribunaux Islamiques. Ayro, en effet, le chef d'Al-Shabaab, participe avec les brigades de Ras Kamboni commandées par Hassan Turki, à la prise du port de Kismayo en septembre 2006. C'est la première fois, à ce moment-là, que les Tribunaux Islamiques s'imposent par la force militaire, en dehors de la zone du clan Hawiyé : jusqu'ici, le discours, la persuasion, la réputation de sécurité et de justice fournie par les Tribunaux Islamiques avaient suffi à rallier les populations du centre et du sud somalien. L'opération va servir la propagande des adversaires des Tribunaux Islamiques, qui vont présenter ceux-ci comme de dangereux djihadistes 15. On observe aussi à ce moment-là un changement de tactique avec l'utilisation des premiers attentats-suicides, une méthode traditionnellement employée par Al-Qaïda : en septembre 2006, un attentat vise le président du TFG Yusuf à Baidoa16.
La situation se complique encore à l'été 2006 lorsque Ben Laden et Al-Zawahiri, les deux principaux dirigeants d'Al-Qaïda, proclament leur soutien aux Tribunaux Islamiques pour récupérer un affrontement local dans leur stratégie de globalisation du djihad. Ce discours d'Al-Qaïda n'est d'ailleurs suivi d'aucun effet sur le terrain. L'Ethiopie et le GFT accusent les Tribunaux Islamiques de cacher des terroristes d'Al-Qaïda ; une position à laquelle se rallient les Américains en décembre 2006, et qui n'est pas démentie par les Tribunaux Islamiques, dont certains dirigeants se livrent alors à des déclarations maladroites sur le djihad. Par exemple, le 12 décembre, le chef de la branche militaire des Tribunaux Islamiques, Sheikh Indha'adde, et son adjoint des Shabaab, Mukhtar Robow, donne une semaine aux Ethiopiens pour quitter la Somalie sous peine d'en être chassés par les armes. Par ailleurs, la fraction radicale au sein des Tribunaux Islamiques ne peut plus être éliminée ; au contraire, sa stratégie de sabotage de tout compromis par la violence fonctionne de plus en plus. En 2006 pourtant, l'Union des Tribunaux Islamiques reste un corps très hétérogène, regroupant des islamistes nationalistes, des djihadistes plus proches d'Al-Qaïda, des salafistes et des tenants de l'islam soufi traditionnel en Somalie : le seul but commun de tous semble être l'instauration d'un Etat islamique en chassant les seigneurs de guerre et leurs milices. Cet objectif rejoint les aspirations de la majorité de la population du sud somalien, lassé de la guerre civile lancinante et des exactions des seigneurs de guerre ainsi que des interférences extérieures 17.
Sheikh Sharif Sheikh Ahmed préside le Conseil Suprême des Tribunaux Islamiques qui compte 20 membres, parmi lesquels certains djihadistes comme Ahmed Abdi Godane. Aweys dirigerait une tendance plus radicale. La compétition au sommet des Tribunaux Islamiques est donc féroce ; cependant, les commandants de terrain disposent d'une marge de manoeuvre, loin des deux leaders de la capitale. La chute de Kismayo et l'échec des négociations en septembre-octobre 2006 marquent incontestablement une victoire de l'aile radicale et du mouvement Al-Shabaab, le seul qui émerge avec une figure assez nette. Ses dirigeants sont des djihadistes ; certains ont été entraînés et ont combattu en Afghanistan ; Ayro, Mukhtar Robow et Godane ont des liens avérés avec Al-Qaïda. Aweys a été le mentor d'Ayro, mais son propre positionnement diffère quelque peu d'Al-Shabaab. C'est un nationaliste dont le but est de combattre l'Ethiopie et toutes les troupes étrangères sur le sol somalien, de réunir toutes les populations somaliennes dans un seul Etat islamique. Il ne faut pas oublier qu'Aweys a été colonel durant la guerre de l'Ogaden (1977-1978) ayant opposé la Somalie à l'Ethiopie sous le dictateur Siad Barre qui rêvait de réaliser la « Grande Somalie » 18 ; Aweys se situe directement à la suite de cette idée. Il s'est d'ailleurs beaucoup acharné cette année-là sur les interventions de l'Ethiopie en Somalie, tout en remettant en question l'indépendance de facto du Somaliland, relançant donc le but de reconstituer une « Grande Somalie ». Cela a pour effet d'inquiéter l'Ethiopie, qui craint une action des Tribunaux Islamiques en direction de sa population musulmane et de certains mouvement rebelles commme le Front National de Libération de l'Ogaden. Il semble avoir perdu de l'influence sur Ayro et Al-Shabaab dans la seconde moitié de 2006. Ahmed, au contraire, a toujours représenté l'aile modérée et a toujours voulu privilégier la négociation, blâmant les Américains de croire que la Somalie était devenue un nid de djihadistes d'Al-Qaïda. Il sera d'ailleurs le seul leader des Tribunaux Islamiques, après sa reddition au Kenya le 21 janvier 2007, à reconnaître les erreurs de son administration.
A la mi-2006, Al-Shabaab s'est donc détaché des Tribunaux Islamiques, et par sa politique a créé des divisions au sein de cette dernière organisation tout en commençant à susciter des résistances dans la population somalienne, sensible aux augmentations des taxes, à l'interdiction de l'usage et de la vente du khat (une drogue locale) et aux humiliations quotidiennes infligées par les militants radicaux. Les modérés des Tribunaux Islamiques savent par ailleurs que la tactique d'assassinats ciblés utilisée avec succès à partir de 2005 dans la capitale peut se retourner contre eux. Dans les mois précédant l'intervention éthiopienne, il est donc clair que les Tribunaux Islamiques sont affiablis ; des tentatives d'assassinats contre Ahmed et Aweys auraient même été lancées par les militants d'Al-Shabaab 19. Certains seigneurs de guerre et hommes d'affaire ayant rallié les Tribunaux Islamiques continuent également de suivre plus leurs intérêts que la cause.
Les Etats-Unis et l'Ethiopie se préparent à l'intervention. Le 6 décembre 2006, la résolution 1725 est votée par l'ONU autorisant le déploiement d'une force militaire afin de sauver le GFT somalien. L'Ethiopie va se charger de fournir la main d'oeuvre, les Etats-Unis se chargeant de l'appui logistique et de l'appui-feu, ce qui n'empêche pas Addis-Abeba de poursuivre ses propres objectifs : l'Ethiopie n'est pas qu'un simple sous-traitant de la guerre contre le terrorisme menée par Georges W. Bush. Car il faut bien reconnaître que les Etats-Unis et leur président ne connaissent alors pas grand chose des Tribunaux Islamiques, hormis la vision tronquée liant l'organisation à Al-Qaïda fournie par le GFT somalien et l'Ethiopie, justement. L'année 2006 est donc un véritable tournant pour la guerre en Somalie : d'un conflit de basse-intensité réduit au niveau local, l'affrontement prend une dimension régionale voire internationale. Le soutien de la CIA aux seigneurs de guerre avait entraîné la prise de pouvoir par les Tribunaux Islamiques ; l'intervention de l'armée éthiopienne soutenue par les Etats-Unis va entraîner une implication bien plus étroite des djihadistes mondiaux sur le champ de bataille somalien.
De la chute des Tribunaux Islamiques à l'installation du djihad somalien (2006-2010)
En décembre 2006, l'Ethiopie lance 14 000 de ses soldats appuyés par des blindés et l'aviation pour déloger les Tribunaux Islamiques du sud de la Somalie. Le 20 décembre, les combats commencent près de Baidoa. Très vite les troupes des Tribunaux Islamiques, surtout constituées alors de volontaires fanatisés, sont balayées ; tout l'appareil militaire expérimenté et politique de l'organisation se retire devant l'avance ennemie, implacable. Le GFT et les Ethiopiens entrent à Mogadischio le 28 décembre. En tout plus de 1 000 miliciens des Tribunaux Islamiques tombent durant les combats 20. Les Tribunaux Islamiques choisissent de se replier dans les zones boisées du sud somalien, à la frontière kenyane, tout en laissant un bon nombre de ses militants en arrière, notamment à Mogadischio. Celui-ci est bientôt confronté à une insurrection rampante des islamistes et des milices Hawiyé dans le sud somalien, ainsi que dans la capitale, dont les quartiers ouest et nord-ouest demeurent aussi des bastions du clan Hawiyé. Les Etats-Unis, en appui de leur allié éthiopien, effectue en janvier 2007 deux frappes aériennes dans le sud du pays. Bientôt, une force de maintien de la paix de l'Union Africaine, l'AMISOM21, constituée de soldats burundais et ougandais, est déployée à Mogadischio. Son arrivée ne résoud pourtant rien : vus comme des étrangers à la solde du GFT, les soldats africains sont pris pour cible par l'insurrection. Le GFT fait appel à des milices entraînées venant du Puntland, région mère du président ; les Hawiyé craignent ainsi une revanche du clan Darod, majoritaire au Puntland, pour les exactions commises contre ce même clan à Mogadischio lors du déclenchement de la guerre civile en 1991. 20 000 soldats éthiopiens et quelques 5 000 miliciens du GFT font alors face à l'insurrection.
Au total, jusqu'à la fin 2008, la guerre fait plus de 10 000 morts et un million de réfugiés quittent la capitale somalienne, théâtre de violents affrontements. L'insurrection s'est structurée dès septembre 2007 en créant l'Alliance pour la Re-Libération de la Somalie (ARS), regroupant les anciens membres des Tribunaux Islamiques et d'autres opposants au GFT ; elle est hébergée dans la capitale de l'Erythrée, Asmara. Sheikh Sharif Sheikh Ahmed, arrivé sur place, en prend la tête. Cette période de violents combats et d'insécurité permanente va bientôt faire passer la courte période de domination des Tribunaux Islamiques pour un véritable « âge d'or » aux yeux d'une partie de la population 22. Pendant ce temps, les opérations continuent contre les radicaux en Somalie ; en mars 2008, les Etats-Unis placent Al-Shabaab sur la liste des organisations terroristes. Un mois plus tard, Ayro, leader historique d'Al-Shabaab, est tué dans une frappe aérienne américaine sur la ville de Dusamareb, au centre de la Somalie. Godane prend la suite d'Ayro et radicalise le mouvement en se revendiquant officiellement de Ben Laden et d'Al-Qaïda dans un communiqué publié en juin 2008.
Tandis qu'Ahmed négocie avec le nouveau Premier Ministre du GFT, Aweys fait toujours figure de ligne dure en appuyant discrètement l'action d'Al-Shabaab, qui commence cependant à prendre ses distances avec des intrigues jugées quelque peu politiciennes. Un accord est conclu entre le GFT et l'ARS le 9 juin 2008 à Djibouti ; un Parlement Fédéral de Transition est prévu pour novembre avec un nombre de siège doublé (550), de façon à aboutir à un mouvement d'unité nationale et à intégrer les islamistes modérés. L'accord divise l'ARS entre les partisans de celui-ci et les tenants de la ligne dure, autour d'Aweys. Cette négociation réussie porte préjudice aux radicaux somaliens, mais aussi au président du GFT, Yusuf, qui bientôt ne pourra plus compter sur les soldats éthiopiens dont le retrait, à terme, est prévu par ledit accord. Il démissionne en décembre 2008 alors que les troupes d'Addis-Abeba achèvent leur retrait le mois suivant. Celles-ci abandonnent ainsi le sud somalien aux miliciens d'Al-Shabaab, revigorés par la reprise en main de Godane et l'alliance officielle avec Al-Qaïda. Le 31 janvier 2009, le nouveau Parlement elit Ahmed comme président de la Somalie.
Celui-ci doit faire face à l'insurrection d'Al-Shabaab et d'un autre groupe radical apparu entretemps, le Hizbul-Islam. Les ressources du gouvernement sont faibles lorsqu'il s'installe en février 2009 dans la capitale ; le centre et le sud de la Somalie sont aux mains d'Al-Shabaab et des seigneurs de guerre. Ce mois-là, les Shabaab s'emparent de la ville de Baidoa, ancien siège du GFT en 2006, puis de celle de Jowhar, dans la province du Hiraan, provoquant d'ailleurs une intervention de l'armée éthiopienne. Un double-attentat suicide le 22 février 2009 dans une base de l'AMISOM à Mogadischio tue 11 soldats burundais et en blesse 28 autres. Aweys retourne en avril 2009 à Mogadischio pour organiser la résistance contre Ahmed ; il prend la tête du Hizbul-Islam, qui regroupe de manière lâche les anciennes brigades de Ras Kamboni dirigées par Turki et trois autres petits groupes radicaux. En mai, de violents combats éclatent à Mogadischio entre miliciens du GFT soutenus par les soldats africains et les insurgés islamistes. Les Etats-Unis affichent alors clairement leur soutien au président somalien en livrant 40 tonnes d'armes et de munitions au GFT. Il faut dire que l'arrivée d'Ahmed à la présidence et le retrait des troupes éthiopiennes ont ôté un bon morceau de légitimité à l'insurrection des Shabaab. Celui-ci cherche encore à diminuer l'influence du mouvement en avançant l'application de la charia sur tout le territoire somalien en mars 2009 23. Soutenu par les gouvernement occidentaux, Ahmed vise à la création d'une armée régulière de 6 000 hommes et d'une force de maintien de l'ordre de 10 000 hommes.
Les attaques des insurgés à Mogadischio en mai 2009 regroupent une coalition des Shabaab, du Hizbul-Islam et des sbires de Aweys. Al-Shabaab demeure l'organisation la plus structurée. Son chef Godane, qui a succédé à Ayro tombé sous le feu américain, est assisté par un conseil de dix membres (Shura). Le mouvement est divisé en cellules indépendantes par zones géographiques, avec chacune des commandants politique et militaire. Muktar Robow, par exemple, opère dans les régions Bay et Bokol ; Hassan al-Turki se trouve dans le Juba. Les Shabaab se divisent entre une branche militaire et une branche chargée du maintien de l'ordre au regard de la loi islamique (« armée de la moralité »). Dans les régions qu'ils contrôlent, les Shabaab nomment des commandants provenant de clans non représentés sur place, de façon à casser les logiques traditionnelles préexistantes. Ils assurent la sécurité et les fonctions quotidiennes du pouvoir de la même façon que l'avaient fait les Tribunaux Islamiques au pouvoir en 2006. Les victoires qu'ont constitué les captures de Kismayo et Merka en 2008 avaient été amoindries par la résistance de la population à l'instauration pure et dure de la loi islamique. Les Shabaab changent leur fusil d'épaule après la prise de Baidoa début 2009 : ils se concertent avec les anciens, chefs de clans, pour gagner le soutien de la population et consolider leur emprise. Al-Shabaab adopterait donc une stratégie plus réaliste pour se maintenir dans la durée 24. Le mouvement bénéficie toujours de l'appui de l'Erythrée qui lui verse une somme de 500 000 dollars par mois, sans parler des armes et des munitions.
Conclusion
Fin 2009, le paysage reste relativement le même. Cependant la Somalie s'inscrit désormais plus dans le schéma binaire longtemps véhiculé par les média en quête de raccourcis : la politique anti-terroriste menée par les Etats-Unis derrière l'Ethiopie a conduit à cette radicalisation du conflit. Les miliciens d'Al-Shabaab se sont endurcis dans les combats contre le GFT et les troupes éthiopiennes ; l'organisation aligne plusieurs milliers de miliciens entraînés et elle est passée maître dans les tactiques djihadistes classiques, attentats-suicides, engins explosifs improvisés, enlèvements et exécutions d'otages. Et à la différence de la période 2006-2007, elle occupe et administre un certain nombre de territoires en Somalie. Les frappes de représailles des soldats éthiopiens à Mogadischio pendant les combats de rues, qui ont visé sans véritable repérage des quartiers entiers de la ville, ainsi que les attaques aériennes américaines qui ont tué un certain nombre de civils, ont fourni une certaine légitimité à l'insurrection islamiste et même une popularité auprès des jeunes somaliens désoeuvrés et de la diaspora à l'étranger. Cependant, elle doit affronter l'opposition de milices relevant de clans s'accrochant à l'islam traditionnel soufi : les Shabaab ont ainsi subi des revers début 2009 dans la région de Galgadud face à un nouveau groupe, Al-Sunna w'al-Jama'a, qui s'oppose à l'interprétation de l'islam véhiculée par les combattants étrangers des Shabaab. Si la comparaison qui avait été faite en 2006 entre les Tribunaux Islamiques et le régime des talibans en Afghanistan était largement déplacée, aujourd'hui, les miliciens d'Al-Shabaab ressemblent fort aux étudiants talibans qui combattaient pour s'emparer du pouvoir en 1996 dans l'Afghanistan post-soviétique. En ce sens, la propagande anti-islamiste de 2006 s'est accomplie d'elle-même. La Somalie est devenue une bataille d'une guerre mondiale entre les Etats-Unis et leurs alliés et Al-Qaïda et les militants islamistes radicaux de l'autre. Le jeu des Etats-Unis, sûrs de leur doctrine de guerre contre le terrorisme en dépit d'une méconnaissance flagrante des réalités locales, et celui des djihadistes somaliens, poussant leur action pour bloquer tout compromis, ont abouti à une escalade. De la sorte, la politique anti-terroriste américaine a tout simplement alimenté et renforcé son pire ennemi sur la scène somalienne, qui n'avait pas l'ascendant jusqu'en 2006 25.
Les attentats du 11 juillet 2010 commis à Kampala, la capitale de l'Ouganda, à la fin de la coupe du monde de football en Afrique du Sud, sont le résultat direct de ces interférences extérieures dans le conflit somalien. Les 74 victimes de ces attentats sont les premières du mouvement Al-Shabaab en dehors du territoire somalien, dans un pays accusé d'alimenter l'AMISOM et de soutenir le GFT. On peut malheureusement parier que ces morts ne seront pas les derniers causés par des attentats des djihadistes somaliens, une nouvelle génération de combattants nés dans le feu des combats depuis 2006.
Bibliographie :
Cedric BARNES, Harun HASSAN, « The Rise and Fall of Mogadischu's Islamic Courts », Chatham House Briefing Paper, avril 2007.
Ashley ELLIOTT, Georg-Sebastian HOLZER, « The invention of 'terrorism' in Somalia : paradigms and policy in US foreign relations », South African Journal of International Affairs vol.16, n°2, août 2009, p.215-244.
Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
Angel RABASA, « Al-Qaeda Terrorism and Islamist Extremism in East Africa », ARI Real Instituto Elcano n°96, 6 mai 2009.
Paula Cristina ROQUE, « Somalia: Understanding Al-Shabaab », Institute for Security Studies, Situation Report, 3 juin 2009.
1 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
2 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
3 De salaf, en arabe « les prédécesseurs ». Courant prônant un retour à l'islam des origines, rejetant toute influence occidentale et remontant à l'école de pensée hanbalite (IXème siècle). Les Frères Musulmans l'ont connecté à la sphère politique au XXème siècle. Al-Qaïda en constitue le volet djihadiste.
4 Doctrine fondée par Muhammad ibn Abd al-Wahhâb au XVIIIème siècle, s'inspirant de l'école de pensée hanbalite et du néo-hanbalisme de Ibn Taymiyya, jurisconsulte et théologien de Damas (XIVème siècle). Le wahhabisme prône un retour aux sources de l'islam et l'instauration d'un Etat sunnite étendu à tout le monde arabe, tout en luttant contre les superstitions populaires et toutes les influences étrangères ; il insiste sur la possibilité des conquêtes par le djihad comme aux premiers temps de l'islam. Il est associé à la famille des Saud dans ce qui est aujourd'hui l'Arabie Saoudite, un Etat purement wahhabite.
5 Angel RABASA, « Al-Qaeda Terrorism and Islamist Extremism in East Africa », ARI Real Instituto Elcano n°96, 6 mai 2009.
6 Celui-là même visé par les Américains lors de leur désastreuse opération des 3-4 octobre 1993 dans Mogadischio, ayant donné naissance au livre puis au film La Chute du Faucon Noir.
7 L'un des principaux clans somaliens, dominant en particulier dans la capitale Mogadischio. Toute la société somalienne s'organise sur un modèle clanique, avec un grand nombre de subdivisions.
8 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
9 Cedric BARNES, Harun HASSAN, « The Rise and Fall of Mogadischu's Islamic Courts », Chatham House Briefing Paper, avril 2007.
10 Littéralement « la jeunesse » .
11 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
12 La Somalie de Siad Barre avait fomenté des mouvements de guérilla puis lancé une offensive conventionnelle en juillet 1977 pour s'emparer de la région, profitant de la désorganisation consécutive à la révolution de 1974 en Ethiopie. Mais le régime de Mengistu fut soutenu dans le conflit par l'URSS qui lâcha alors son protégé somalien : le conflit se termine par une victoire éthiopienne au début 1978. Voir mon article dans Champs de bataille n°32.
13 Ashley ELLIOTT, Georg-Sebastian HOLZER, « The invention of 'terrorism' in Somalia : paradigms and policy in US foreign relations », South African Journal of International Affairs vol.16, n°2, août 2009, p.215-244.
14 http://www.selectarmor.com/
15 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
16 Cedric BARNES, Harun HASSAN, « The Rise and Fall of Mogadischu's Islamic Courts », Chatham House Briefing Paper, avril 2007.
17 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
18 Réunion de toutes les populations somaliennes dans un seul Etat somalien. Plus d'un million de somaliens vivent en effet en dehors des frontières du pays, en Ethiopie (province de l'Ogaden), dans le nord du Kenya et à Djibouti.
19 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
20 Ashley ELLIOTT, Georg-Sebastian HOLZER, « The invention of 'terrorism' in Somalia : paradigms and policy in US foreign relations », South African Journal of International Affairs vol.16, n°2, août 2009, p.215-244.
21 African Union Mission to Somalia ; elle comprend désormais 2 700 soldats de l'Ouganda et 2 550 du Burundi.
22 Ashley ELLIOTT, Georg-Sebastian HOLZER, « The invention of 'terrorism' in Somalia : paradigms and policy in US foreign relations », South African Journal of International Affairs vol.16, n°2, août 2009, p.215-244.
23 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
24 Paula Cristina ROQUE, « Somalia: Understanding Al-Shabaab », Institute for Security Studies, Situation Report, 3 juin 2009.
25 Markus Virgil HOEHNE, « Counter-terrorism in Somalia : How external interference helped to produce militant Islamism », African Arguments Online, 17 décembre 2009.
Source: Good Morning Afrika
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