Par Sarah Diffalah
Si de nombreux efforts dans le domaine de la sécurité ont été réalisés pour endiguer la piraterie maritime, traduire en justice leurs auteurs reste une gageure
Un pirate somalien à Hobyo photographié le 7 janvier 2010. (MOHAMED DAHIR/AFP) |
Au total, 22 Somaliens sont détenus en France pour quatre prises d'otages. Fin 2011, cinq hommes avaient été condamnés à des peines comprises entre quatre et huit ans de prison pour la prise d'otage du Carré d'As, en septembre 2008, un sixième étant acquitté. Le parquet a fait appel. Deux autres affaires (celle du Tanit et celle du Tribal Kat) visant des pirates présumés arrêtés au large de la Somalie ou du Yémen sont en attente de jugement.
Si de nombreux efforts dans le domaine de la sécurité ont été réalisés, la traduction devant la justice des pirates est plus difficile et tend à devenir une priorité pour de nombreux Etats. De nombreux procès se sont déroulés ces derniers mois dans plusieurs pays européens (Pays-Bas, France, Allemagne, Belgique...) mais leur effet de dissuasion est encore très limité.
Que faire des pirates appréhendés ?
Avec l'explosion de la piraterie maritime depuis les années 2000 - 439 attaques en 2011 selon le Bureau maritime international (BMI), principalement en Somalie, dans le Golfe de Guinée et en Asie du Sud-Est -, les Etats ont renforcé leurs actions pour endiguer un phénomène qui n'a rien perdu de son intensité. L'Union européenne a lancé en 2008, la mission Atalante, dont les navires de guerre patrouillent sur l'Océan Indien et les hélicoptères sont capables de mener des raids aériens.L'Otan, de son côté, a déployé l'opération Ocean Shield mais qui ne peut viser les côtes. La France a aussi accepté de mettre à disposition des "équipes de protection embarquée" (EPE), composées de militaires, pour certaines activités considérées comme "stratégiques". Les navires se sont équipés de barbelés, de canons à eau ou sonores et bien d'autres équipements censés tenir éloignés les pirates.
Toutes ces opérations ont mené à de nombreuses arrestations, les attaques ont légèrement diminuées en 2011, mais, très vite, la question de savoir ce qu'on faisait des pirates appréhendés s'est posée. La réponse privilégiée a longtemps été celle de la remise des pirates aux autorités locales de Somalie. Mais compte tenu de la situation de chaos dans le pays, 90 % des pirates étaient souvent relâchés.
Il a donc fallu adapter les juridictions nationales pour faciliter la lutte contre la piraterie. Jusqu'a son abrogation en 2007, la France ne disposait que d'une seule législation datant de 1825 !
adapter la législation française
Une loi a été adoptée en janvier 2011 qui donne aux tribunaux français une compétence "quasi universelle" pour juger les pirates appréhendés par des agents français quelle que soit la nationalité du navire ou des victimes.Le texte permet d'adapter la législation française aux conventions internationales dont celle de Montego Bay sur le droit de la mer entrée en vigueur en 1994 et réintroduit la piraterie dans le droit pénal français. Il donne une plus grande liberté d'action aux forces navales françaises lors d'interventions en haute mer en accordant aux commandants les pouvoirs d'un officier de police judiciaire. Ils pourront contrôler les navires suspects, ordonner l'ouverture du feu et le déroutement, procéder à des saisies, arrêter et déférer des pirates, détruire des embarcations.
Vers des tribunaux spéciaux ?
Mais le Parlement européen s'est inquiété de la persistance de l'impunité des actes de pirateries. Dans une résolution adoptée le 10 mai dernier, les députés européens estiment que cette impunité "constitue un obstacle à la dissuasion".Malgré les accords de transfèrement conclus par l'Union avec des pays tiers (Kenya, Seychelles, Maurice) ainsi que les accord bilatéraux de rapatriement des pirates condamnés entre les Seychelles, le Puntland et le Somaliland, et les divers cadres juridiques internationaux, de nombreux pirates et autres malfaiteurs n'ont toujours pas été arrêtés ou, lorsqu'ils l'ont été, ont souvent été libérés fautes de preuves solides ou de la volonté politique de les poursuivre."
Ainsi le Parlement européen appelle les Etats-membres à transposer dans leur droit national toutes les dispositions de la Convention des nations unies et à la mise en place de tribunaux spéciaux pour les pirates.
La mise en place d'un tribunal international avait été rejetée par Jack Lang, début 2011, alors qu'il était conseiller spécial à l'Onu et chargé d'une mission de cinq mois sur les questions juridiques liées à la piraterie maritime, parce que "inadapté, trop cher et trop long à mettre en place". En revanche, le projet d'une cour spécialisée somalienne mais extraterritoriale, installée dans les locaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda avait été avancé.
Des prisons qui débordent
La prison de Mahe, aux Seychelles qui accueillait le 2 mars 2012, 82 présumés pirates somaliens. (ALBERTO PIZZOLI/AFP) |
Autre conséquence des efforts fournis pour arrêtés les pirates : l'engorgement des prisons des pays qui accueillent les malfaiteurs. Aujourd'hui, la concentration des prisonniers réside essentiellement dans l'archipel des Seychelles. Engorgées, les prisons ont de plus en plus de mal à contenir l'afflux de prisonniers.
Jack Lang avait évoqué dans son rapport la création de deux prisons de 500 places chacune. Une première a été ouverte fin 2010 au Somaliland et une autre doit voir le jour bientôt au Puntland. Suffisant pour accueillir les centaines de pirates arrêtés chaque année ?
URL Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20120523.OBS6339/quelle-justice-pour-les-pirates.html
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