(New York, le 19 avril 2010) - Le groupe armé islamiste Al-Chabaab fait subir aux habitants du sud de la Somalie des meurtres, des châtiments cruels ainsi qu'un contrôle répressif de leur vie sociale, a indiqué Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Dans la capitale déchirée par la guerre, Mogadiscio, les forces d'Al-Chabaab, du Gouvernement fédéral de transition (GFT) et de l'Union africaine (UA) continuent à mener des attaques aveugles, tuant et blessant de nombreux civils.
Un combattant d'Al-Chabaab monte la garde lors d'une flagellation publique dans la ville de Bula Marer, dans le sud de la Somalie. © 2008 Reuters |
Le rapport de 62 pages, « Harsh War, Harsh Peace: Abuses by al-Shabaab, the Transitional Federal Government, and AMISOM in Somalia » (« Guerre cruelle, paix cruelle : Exactions perpétrées par Al-Chabaab, le Gouvernement fédéral de transition et l'AMISOM en Somalie »), constate que les forces d'Al-Chabaab ont apporté une plus grande stabilité dans de nombreuses parties du sud de la Somalie, mais à un coût élevé pour la population locale - en particulier les femmes. S'appuyant sur plus de 70 entretiens menés auprès de victimes et de témoins, le rapport décrit des châtiments sévères notamment des amputations et des flagellations, qui sont infligés couramment et sans procédure régulière. Des personnes accusées d'être des traitres ou des sympathisants du gouvernement - souvent sous des prétextes futiles - sont exécutées ou assassinées. Les combattants d'Al-Chabaab avaient menacé de mort certaines des personnes interrogées, simplement parce qu'elles vivaient dans des quartiers de Mogadiscio contrôlés par le gouvernement.
« Si Al-Chabaab a apporté une stabilité à certaines régions en proie à la violence depuis longtemps, ce mouvement a recouru à une répression et une brutalité implacables », a déclaré Georgette Gagnon, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « La population qui se trouve sous le contrôle d'Al-Chabaab paie un prix exorbitant. »
Les principaux acteurs internationaux ont souvent joué un rôle contre-productif dans la crise et ont minimisé les abus commis par les troupes de l'UA déployées à Mogadiscio pour protéger le fragile gouvernement de transition de la Somalie, a déploré Human Rights Watch.
De nombreuses autorités locales d'Al-Chabaab consacrent une énergie extraordinaire à contrôler la vie personnelle des femmes et à empêcher tout mélange des sexes. Plusieurs femmes ont expliqué à Human Rights Watch qu'elles avaient été battues, fouettées ou emprisonnées pour avoir vendu du thé afin de subvenir aux besoins de leur famille, parce que ce travail les met en contact avec des hommes. Dans d'autres cas, des femmes ont été battues pour avoir omis de porter le type précis d'abaya - un vêtement ample les couvrant de la tête aux pieds - prescrit par les décrets locaux. Souvent, les femmes ne portent pas l'abaya non par défi mais parce que leurs familles n'en ont tout simplement pas les moyens.
« Il levait le bras en arrière et il comptait : ‘Un, deux, trois, quatre, cinq .... ' » a raconté une femme à Human Rights Watch, décrivant les coups qu'elle a reçus lorsqu'elle est sortie en courant de chez elle à la poursuite de son jeune enfant sans revêtir l'abaya. « C'était si douloureux que si j'avais eu une arme à feu j'aurais tué cet homme. »
Al-Chabaab a soumis des jeunes gens et des garçons à des abus tels que le recrutement militaire forcé et un contrôle social strict. Human Rights Watch a interrogé un jeune homme qui a vu son oncle se faire tuer par des combattants d'Al-Chabaab parce qu'il avait refusé de révéler le lieu où se trouvait un autre neveu, âgé de 15 ans, qui avait déserté leurs rangs après avoir été blessé au combat. Des passages à tabac ou des humiliations publiques sont couramment infligés à des hommes pour un large éventail d'infractions telles que ne pas aller à la mosquée, porter les cheveux longs ou bien des vêtements qu'Al-Chabaab considère comme occidentaux.
« En plus des abus commis dans les zones contrôlées par Al-Chabaab, toutes les parties sont responsables de violations des lois de la guerre qui se poursuivent sans relâche à Mogadiscio », a ajouté Georgette Gagnon. « De nombreux Somaliens sont quotidiennement en butte aux hostilités aveugles, à des modes de répression terrifiants et à des actes brutaux de violence ciblée. »
À Mogadiscio, le gouvernement de transition et les 5 300 membres de la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM) affrontent une opposition puissante dominée par Al-Chabaab.
Les combattants de l'opposition tirent régulièrement des obus de mortier au hasard sur des quartiers peuplés contrôlés par le gouvernement de transition. Ils tirent fréquemment depuis des zones résidentielles dans l'espoir manifeste de provoquer des attaques de représailles qui pourraient ternir l'image du gouvernement de transition et des forces de l'UA. Trop souvent, ces forces ripostent aux attaques aveugles de la même façon. Les forces de l'UA ont tiré des obus de mortier sur des zones densément peuplées, sans prendre les précautions nécessaires pour distinguer entre les civils et les cibles militaires. Human Rights Watch a interrogé des personnes vivant des deux côtés des lignes qui ont été témoins de membres de leur famille mis en pièces lors de telles attaques, qui violent les lois de la guerre.
Des combattants d'Al-Chabaab et d'autres mouvements d'opposition menacent et tuent des civils qu'ils considèrent comme favorables au gouvernement de transition. Al-Chabaab a également mené des attaques suicide dévastatrices contre des civils, dont une lors d'une cérémonie de remise de diplômes universitaires à Mogadiscio qui a tué au moins 22 personnes en décembre 2009.
L'intervention des puissances extérieures en Somalie s'est souvent avérée contre-productive pour restaurer la sécurité. Le fort soutien dont bénéficie le gouvernement de transition de la part des États-Unis, de l'UE, de l'UA et du Bureau politique de l'ONU pour la Somalie a conduit ces acteurs à condamner rapidement les graves abus commis par Al-Chabaab, mais à fermer manifestement les yeux sur les abus commis par le gouvernement de transition et par les forces de l'UA. Le gouvernement américain a envoyé des mortiers aux forces du gouvernement de transition à Mogadiscio, même si aucune des parties au conflit n'a utilisé les armes en conformité avec les lois de la guerre.
Le Kenya, pays voisin de la Somalie, a sous de faux prétextes contribué au recrutement de jeunes Somaliens dans les camps de réfugiés pour qu'ils deviennent des combattants, en violation du statut humanitaire des camps. L'Érythrée, dans le but de porter atteinte aux intérêts régionaux de son adversaire politique, l'Éthiopie, a aidé Al-Chabaab à se procurer des armes. Human Rights Watch demande instamment aux acteurs étrangers de réévaluer leurs politiques envers la Somalie et d'aider à mettre fin à l'impunité qui alimente les pires abus.
« Il n'y a pas de moyen facile et évident de résoudre la crise en Somalie », a reconnu Georgette Gagnon. « Mais les puissances extérieures devraient traiter les abus commis par toutes les parties au lieu d'ignorer ceux qui sont commis par leurs alliés. »
La Somalie est en proie à des conflits armés depuis l'effondrement en 1991 de son dernier gouvernement en fonctions. Mais la situation s'est aggravée de façon spectaculaire à la fin 2006, lorsque les forces militaires éthiopiennes sont intervenues pour écraser une coalition de tribunaux de la Charia (loi islamique) qui avait pris le contrôle de Mogadiscio.
Le conflit qui en est résulté a éparpillé les forces éthiopiennes et leurs alliés du gouvernement de transition contre une multitude de groupes rebelles, dont Al-Chabaab, qui a surgi pour les combattre. Les combats ont dévasté Mogadiscio, poussé des centaines de milliers de Somaliens hors de leurs maisons, et engendré une crise humanitaire massive qui continue de s'aggraver. Les forces éthiopiennes s'étaient retirées au début de 2009, mais les violences se poursuivent sans relâche.
Récits de victimes et de témoins extraits du rapport « Guerre cruelle, paix cruelle » :
« Ils ont alors demandé à mon mari : 'Vas-tu prendre les 10 coups de fouet normalement prescrits pour les femmes qui sont censées porter l'abaya?' Il a refusé, et ils ont dit : 'D'accord, alors ta femme va les recevoir.' Un jeune homme m'a donné 10 coups de fouet. Il me frappait si fort que je sentais la chaleur et la douleur dans tout le corps. Il levait le bras en arrière et il comptait : 'Un, deux, trois, quatre, cinq .... ' C'était si douloureux que si j'avais eu une arme à feu j'aurais tué cet homme. »
- Femme de Mogadiscio qui s'est précipitée à la poursuite de son jeune enfant, sorti de chez elle dans la rue, et a été arrêtée par des combattants d'Al-Chabaab pour avoir omis d'enfiler son abaya.
« S'ils vous trouvent sans [abaya], ils vous frappent et vous fouettent. Cela m'est arrivé il y a deux mois. Je me tenais devant ma cour. Quand je les ai vus avec des fouets et des armes, je me suis précipitée à l'intérieur. Mais un homme m'a poursuivie et m'a fouettée à trois reprises. Il se servait d'une baguette de « marer » [un arbre à baies]. Il disait : 'Pourquoi ne portes-tu pas le hijab?' J'ai répondu : 'Je n'en ai pas les moyens.' Il a dit : 'Ce n'est pas possible ; rentre dans ta maison.' Donc soit vous devez en avoir un, soit vous restez chez vous, sans manger. »
- Femme d'une ferme près de la ville de Jilib, au nord de Kismayo.
« Un jour que je rentrais chez moi du « duksi » [école coranique] j'ai constaté que notre maison avait été touchée par un [obus de mortier]. La maison était pulvérisée. Ma mère et mon père ont été tués. Je crois que mes quatre frères ont été tués aussi - j'ai vu des morceaux de leurs mains et de leurs jambes près de la partie de la maison que nous utilisions pour nous reposer. Je suis dans un tel état de choc que je sais à peine qui je suis. »
- Garçon de 14 ans dont la famille à Mogadiscio a été anéantie par un tir de mortier en septembre 2009.
« Ils [les combattants d'Al-Chabaab] utilisent des mortiers. Ils s'installent à un certain endroit et ils tirent un, cinq, voire dix obus de mortiers. Puis ils ramassent leurs affaires et s'en vont immédiatement. Nous n'avons aucun moyen de nous plaindre à eux [et de leur dire d'arrêter]. Même si vous les regardez, vous pouvez être tués. Puis une contre-attaque arrive, à l'aveugle. Un jour, des membres de ma famille ont été ensevelis dans leur maison après qu'un mortier a touché une maison voisine - trois personnes y sont mortes. Ma maison était obstruée par les décombres de cette maison-là. Nous avons dû creuser pour les sortir de là. »
- Ancien résident d'un quartier contrôlé par l'opposition à Mogadiscio.
Source: http://www.hrw.org/fr/africa/somalia
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