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Recension : Al-Shabaab in Somalia (Stig Jarle Hansen)


Posted: 29 Dec 2013 08:41 AM PST
Notre recension a bénéficié d'une première publication sur le blog War Studies Publications (merci à l'animateur).
Qu’on se le dise, Stig Jarle Hansen est le spécialiste du groupe Al-Shabaab, ce groupe de fondamentalistes affiliés à Al-Qaïda, qui a émergé en Somalie à partir de 2005-2006[1]. Les commentaires des plus prestigieux spécialistes de la Somalie en quatrième de couverture (Gérard Prunier, J. Peter Pham, Christopher Cook, Markus Hoehne) sont élogieux et augurent une lecture enrichissante.


Professeur de Relations internationales en Norvège, Hansen a vécu en Somalie au moment même où le groupe commençait à faire parler de lui. C’est même Godane, le futur leader du mouvement qui lui délivra son visa. Il le dit lui-même, sa première impression du groupe fût positive. En effet, les Shebabs n’étaient alors composés que de quelques dizaines de jeunes, intégrés à l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI). Ce dernier administrait le sud du pays en 2006 et était parvenu à y restaurer un semblant d’ordre et de sécurité. Très vite, Hansen a compris que le groupe se distinguait du reste des mouvements de l’UTI, une autre facette se dessinait. Composé de jeunes dont le chef se faisait appeler « Gaal dille » (« tueur de Chrétiens » en somali) les Shebabs se faisaient les chantres du concept de choc des civilisations. Cette double facette - restauration de la sécurité et idéologie civilisationnelle - existe encore aujourd’hui.
Hansen nous explique l’évolution du groupe, son idéologie et les moyens militaires employés pour parvenir à ses fins. Il adopte un plan chronologique pour montrer les différentes phases de l’émergence du groupe dans un contexte national où la religion est devenue un refuge identitaire face au désordre général. Le groupe s’est formé au sein de l’Union des Tribunaux islamiques (2005-2006) et s’est renforcé dans le combat contre « l’envahisseur » éthiopien (2007-2008). Selon Hansen, son âge d’or serait la période 2009-2010 avec l’échec de la prise de contrôle du territoire national par le Gouvernement Fédéral de Transition (GFT). La période actuelle, à partir de 2010, serait une période de « troubles » pour le groupe (perte de territoire, interventions des acteurs régionaux et internationaux).


Pour l’auteur, le groupe est certes, le fruit du contexte national d’insécurité, mais il est également le signe de l’exportation de l’idéologie d’Al Qaïda en Somalie. En cela, l’auteur reprend le concept de « glocalisation » développé par J.P. Daguzan en France. Il décrit brillamment la complexité du groupe, les différentes alliances, les réseaux en Europe, au Moyen-Orient et aux Etats-Unis, ainsi que les différentes interprétations de l’islam qui sont l’objet de nombreux débats internes.
Hansen montre le soutien de la population, notamment le milieu des affaires, qui croyait en l’une des facettes des Shebabs et acceptait tacitement l’autre. On le sent, l’auteur admire la capacité des Shebabs a mettre en place une forme de gouvernance fondée sur une idéologie et un système juridique et scolaire, alors qu’aucune autre organisation n’y était parvenue jusqu’alors. Al-Shabab a même développé un système fiscal qui aurait permis au groupe de s’autofinancer, sans soutien extérieur. Néanmoins, cette hypothèse est sujette à débat parmi les spécialistes. De plus, le groupe a, dans une certaine mesure, réussi à transcender les divisions claniques, sous-claniques et sous-sous-claniques bien qu’aujourd’hui les dissensions observées au sein du groupe sont elles-mêmes liées à ce problème clanique.

Hansen explique également comment l’utilisation des réseaux sociaux et des moyens de communications modernes ont permis aux Shebabs de se faire connaitre et de recruter à plus grande échelle. Cet élargissement de sa visibilité a aussi contribué à faire évoluer l’idéologie du mouvement. Dans le même temps, l’évolution du groupe a créée des divisions internes, entre les jeunes somaliens nationalistes, désœuvrés et hostiles à l’intervention éthiopienne d’un côté et, de l’autre, les nouvelles recrues issues de l’étranger ou de la diaspora, dont l’agenda est plus global et religieux. Il note également que les kamikazes shebabs sont rarement des Somaliens recrutés dans le pays mais des étrangers ou des membres de la diaspora radicalisés dans le monde occidental.
Hansen analyse parfaitement un autre point : les acteurs internationaux ont à plusieurs reprises fait l’erreur d’oublier la capacité de résilience du groupe. La fin du groupe a été annoncée à plusieurs reprises depuis 2008, mais il a toujours su se réinventer et sa capacité de nuisance est restée intacte, comme l’a prouvé l’attentat du Westgate Mall de Nairobi en septembre 2013. L’auteur semble véritablement impressionné par cette habileté à se réinventer. Pour Hansen, Al-Shabaab est le seul groupe affilié à Al Qaïda à avoir administré un large territoire (de la taille du Danemark avec 5 millions d’habitants), il a exporté des combattants dans le reste du continent africain (Nigeria, Sahel, Kenya et Ouganda) et ils auraient, ainsi, contribué à un « African momentum for jihad ».


Le nombre de détails[2], de noms et de dates risquent de déstabiliser les néophytes, d’autant qu’il n’existe pas dans l’ouvrage de véritable rappel sur la division clanique de la société alors même que l’auteur s’y réfère dès qu’il cite un acteur. On pourrait aussi reprocher à l’auteur d’avoir survolé les éléments de méthodologie sur la collecte des données et les sources utilisées. Toutefois, un index des noms propres situé à la fin permet de trouver rapidement les références, les notes de fin et la bibliographie sont riches et invitent à poursuivre la lecture d’autres ouvrages sur la question. L’introduction est brillante et apporte des clarifications très utiles sur les débats qui agitent le monde académiques anglophones sur la Somalie et les différentes organisations politiques qui y ont émergé depuis 1991. Cet ouvrage est une mine d’or pour les spécialistes et sa lecture leur est essentielle. Il présente, explique et décortique l’évolution de l’idéologie et de la tactique de « l'une des organisations politiques somaliennes les plus efficaces de ces vingt dernières années ».
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[1] Selon Hansen mais la période fait débat parmi les spécialistes.
[2] On note par exemple la liste exacte des taxes appliquées à Kismayo en 2010, ou encore le montant attribué au soldat qui tuerait un ennemi (30 $) alors qu’à la même période la police et l’armée n’étaient pas payé.
 
 

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