Serge Nemry - Février 2012
Ce 13 février, il y a un brouillard très dense et je peine à rejoindre le 15ème Wing à Melsbroek où rendez-vous m’a été fixé à 4h30 du matin. C’est le grand départ pour moi, j’ai reçu de l’Etat-Major de la Force Aérienne belge (FAéB) l’autorisation exceptionnelle d’accompagner le premier détachement FAé. B. chargé de prendre dès le début mars, le contrôle aérien à Kismaayo enSomalie, contrôle jusque-là géré par les Américains. Au groupe de vol des Sioux, l’ambiance est tendue ; ce brouillard épais retarde les opérations de décollage. Nous devions quitter Melsbroek à 6h00, finalement nous prendrons plus de deux heures de retard, les moteurs ne seront mis en route qu’ à 8h40.L’équipage du CH-11 est composé du Commandant(Cdt) Avi Michel ’’Mich’’Guiot, Cdt.de bord, secondé par le Lt.Colonel Rombout qui est également l’Officier Supérieur Navigant du 15ème Wing , le navigateur est le Lt.Colonel de réserve Nicolaï, le loadmaster qui procède aux préparatifs de l’avion est l’Adjudant Jan Willems tandis que l ‘Adjudant Francis Marchand est le Flight Ingeneer de ce vol.
P-3 Orion |
L’avion embarque, outre le détachement FAé, une dizaine de paras-commandos et un véhicule blindé. Nous décollons dans cette purée de pois qui va se dissiper quelques centaines de kilomètres plus loin, et nous mettons le cap sur l’Egypte et sa capitale. Au dessus de l’Autriche, le soleil brille et la vue des sommets enneigés est magnifique. Il est 18 heures quand, après avoir survolé la Méditerranée puis de longues étendues de sable, nous entamons la descente sur l’aéroport mixte du Caire. Nous venons de parcourir quelques 3.800km en un peu plus de 12heures. Durant l’atterrissage quelques photos des épaves militaires et civiles qui trainent à droite de la piste, sont prises à la sauvette à travers le hublot. Comme le C-130 transporte des armes, nous sommes cantonnés loin des bâtiments de l’aérodrome et avons juste le droit de sortir aux abords de l’avion, et ce, sous la surveillance de soldats égyptiens biens armés. Commencent alors pour le Commandant de bord de longues tractations pour l’approvisionnement en fuel. Les Egyptiens exigent de l’argent liquide, le Cdt ne peut payer qu’avec une carte de crédit de la Défense. Beaucoup de temps sera perdu avant que notre appareil soit enfin ravitaillé. Il faut aussi revoir le plan de vol et programmer une halte de nuit à Djibouti, ce dont s’occupe sur place le Commandant du Détachement Logistique de l’Armée, prévenu par radio. Suit un long survol du désert, après avoir croisé le Nil à deux reprises et avoir aperçu de nuit Louxor, énorme point lumineux dans cette partie désertique, l’équipage pose le CH-11 à minuit et 5 minutes. Les formalités accomplies nous rejoignons harassés l’hôtel qui nous est désigné. Après une nuit de repos bien nécessaire pour l’équipage, nous regagnons la partie civile de l’aéroport de Djibouti où on me laisse quelques minutes pour photographier les avions présents sur le tarmac, pendant que le mécanicien de bord procède à une vérification des moteurs. Il y a là, entre autres, un P3C Orion de la VP-10 de l’US NAVY (cet avion est aujourd’hui sous cocon à Davis Monthan), un Ilyushin IL-18 de la Compagnie russe AEROFLOT (la rumeur prétend que la compagnie Russe transporte essentiellement des ballots de khat, une drogue euphorisante et stimulante en feuille à mâcher, d’Ethiopie vers la Somalie) et un CESSNA Caravan de la Namibian Commercial Aviation affrété dans le cadre du World Food Programme.
Pas de chance !, au moment où je grimpe dans le C-130, deux Mirage F-1 de l’Armée de l’Air française portant un camouflage désert arrivent: pas le temps de mettre le zoom, tant pis, vite une photo qui hélas s’avérera floue, m…. ! Nous sommes repartis pour 3 heures de vol et survolons une partie de l’Ethiopie, nous atteignons enfin Kismaayo où nous sommes attendus par les représentants militaires belges participant à Restore Hope(1). Après un circuit en parallèle à la piste qui nous permet de voir les installations, le CH-11 effectue un atterrissage court puis est dirigé vers le grand parking devant l’aérogare.
Pas de chance !, au moment où je grimpe dans le C-130, deux Mirage F-1 de l’Armée de l’Air française portant un camouflage désert arrivent: pas le temps de mettre le zoom, tant pis, vite une photo qui hélas s’avérera floue, m…. ! Nous sommes repartis pour 3 heures de vol et survolons une partie de l’Ethiopie, nous atteignons enfin Kismaayo où nous sommes attendus par les représentants militaires belges participant à Restore Hope(1). Après un circuit en parallèle à la piste qui nous permet de voir les installations, le CH-11 effectue un atterrissage court puis est dirigé vers le grand parking devant l’aérogare.
C-130 belge à l'arrivée sur l'Airfield de Kismaayo |
Approches et atterrissages ne sont pas des manœuvres sans risques ici; quelques avions de transports ont déjà essuyé des tirs - d’armes légères heureusement - sans conséquences si ce n’est quelques impacts de balles sur le fuselage. Pendant que le peloton RAVAIR s’occupe, sous haute surveillance, du déchargement du C-130, un convoi armé est mis en place pour rallier les installations portuaires où sont cantonnés une partie des « béretsrouges ». En route nous traversons plusieurs zones considérées comme dangereuses et la tension est palpable chez les militaires, doigt sur la gâchette, prêts à entrer en action au moindre mouvement hostile. A l’entrée de la ville, nous croisons une patrouille US puis une équipe belge occupée à contrôler un pick-up Toyota suspect : on peut constater à l’aménagement de celui-ci qu’il a ‘’servi’’ comme ‘’technical’’ c'est-à-dire véhicule de combat dans le jargon militaire. Après avoir parcouru une quinzaine de kilomètres et avoir longé les camps de réfugiés et traversé le centre de Kismaayo qui a fort souffert des combats entre chefs de guerre, nous atteignons le port.
Nous y rejoignons le Colonel Jacqmin, chef des opérations pour la région de Kismaayo. Ici, Belges et Américains cohabitent et effectuent en permanence des patrouilles de surveillance des installations, tant sur terre qu’en mer. A quai, la Frégate de commandement et de soutien logistique de la Marine belge, A961 Zinnia, assure l’intendance. Le bateau sert de garde-manger géant et offre quotidiennement du pain frais et des repas chauds ainsi que, grâce à un procédé de désalinisation, de l’eau potable à raison de plus de 25.000 litres par jour aux troupes belges occupant le port et les campements des environs. A bord, il y a également un hôpital bien équipé avec un dentiste fort sollicité par les Américains. Le Zinnia effectue toutes les deux semaines et demie un aller-retour (4 jours au total) vers le port de Mombassa au Kenya pour se réapprovisionner en victuailles fraîches. Embarquée au départ de Zeebrugge, une Alouette III sert d’hélicoptère de liaison et d’évacuation sanitaire.
Les véhicules sont également entretenus dans des installations sommaires mises en place dans les bâtiments encore debout. Retour à l’aéroport, qui s’avère être sous haute protection, où les Américains nous ont dégagé un (très) peu de place dans un local de l’aérogare pour installer les lits de camp qu’ils nous prêtent. Il faut dire que le deuxième C-130 qui doit amener le matériel restant pour le détachement FAé., dont le groupe électrogène et les lits est retardé au lendemain. A cette époque, pas question d’hôtel ou de containers de logements; l’installation est très spartiate : il n’y a plus de fenêtres ni de portes dans ce bâtiment aéroportuaire qui a fortement souffert des combats.
Une petite faim se fait sentir et les boîtes de survie, les conserves de saucisses aux haricots sauce tomate ou les raviolis …sauce tomate encore sont ouvertes et réchauffées sur un petit butagaz : c’est le premier repas chaud depuis le départ de Melsbroek.
Une petite faim se fait sentir et les boîtes de survie, les conserves de saucisses aux haricots sauce tomate ou les raviolis …sauce tomate encore sont ouvertes et réchauffées sur un petit butagaz : c’est le premier repas chaud depuis le départ de Melsbroek.
La nuit tombe vite en Afrique et pour passer le temps quelques-un vont voir un film vidéo avec Arnold Schwartzenegger projeté par les Américains sur un grand écran extérieur, tandis que les autres discutent du planning et de l’organisation du lendemain ou préparent le matériel radio. La nuit sera courte et animée…les Rangers rentrant de patrouille traversent notre local, cliquetis d’armes et bruit sourd des bottines au menu, et vers 5 heures du matin les opérations aériennes reprennent. Au petit matin, je fais un tour des installations et en profite pour ‘’tirer’’ les Marchettis du Somalian Air Corps dégagés du parking au bulldozer et réduits en autant d’épaves. Ces avions, trois SF 260C (bleu et blanc) et quatre SF 260W (camouflés) étaient en très bon état et avaient encore un bon potentiel de vol, mais les Américains ne s’encombrent pas de choses qui ne les intéressent guère.
Les moteurs avaient été récupérés par des Sud-Africains qui ont flairé la bonne affaire et, les tableaux de bord vidés de leurs instruments, autant de souvenirs emportés par les soldats. Prés de la tente d’un Colonel Américain, git le fuselage d’un Mig 15 portant cocarde somalienne dont le siège a été enlevé et sert de ‘’ fauteuil’’ à l’officier. Plus loin, un Canberra éthiopien (ils en avaient reçu quatre en 1968 provenant des stocks de la RAF), cassé en deux. Cet appareil utilisé pour des missions de bombardement serait arrivé là avec aux commandes un pilote déserteur. C’est dans ce cockpit qu’un para belge actionnera la poignée du siège éjectable, qui malheureusement était toujours armé, et perdra la vie. De nombreux véhicules complètement démantelés traînent également aux quatre coins de l’aéroport. En me rendant vers la zone où sont stationnés les hélicoptères UH -60 Black Hawk, je croise un motard pas comme les autres : c’est un Ranger qui, armé d’un fusil mitrailleur, effectue dès qu’un avion est annoncé une ronde sur la piste. Si nécessaire, il tire en l’air pour chasser les rapaces ou les chameaux qui y circulent et, qui représentent autant de dangers pour les avions qui se posent. Les Black Hawk assurent des missions d’appuis pour les troupes au sol, transportent les patrouilles là où il le faut et emmènent des prisonniers vers le quartier général de Mogadiscio.
UH-60 BlackHawk |
Il y en avait souvent 6 ou 7 sur le tarmac, dont certains de deux mitrailleuses de 7,62mm. Un peu plus loin, hors de la zone de stationnement des avions, des hélicoptères Cobra et leurs munitions attendent les prochaines sorties opérationnelles. Ils peuvent être appelés à tout moment et les équipages sont en ‘’stand by’’ sous tentes près des machines. Le Cobra est équipé d’un canon Vulcan rotatif de 20mm de calibre, il peut emporter des missiles antichars Tow, des air-sol Helfire ou des pods roquettes.
AH-1 Cobra |
Lorsque les missions le nécessitent, des OH-6A Cayuse viennent en renfort (ils sont visibles sur la prise de vue aérienne des installations). Opérant de concert avec les hélicos de combats, ils forment les ‘’Pink Teams’’, les OH-6A ouvrant le bal en repérant et identifiant les cibles qui sont marquées aux fumigènes. Mais, le plus gros des mouvements enregistrés sur l’aérodrome, concerne bien évidemment les avions de transport, Kismaayo étant une importante plate-forme pour l’aide humanitaire du sud somalien. Y alternent tout au long de la journée C-130 Hercules canadiens et américains, HS-748 MF Andover de la Royal New Zealand Air Force, avions de liaison de l’ONU, du Comité International de la Croix Rouge et L100-30 Hercules de la compagnie civile US Southern Air Transport.
Pour ces derniers, il se dit que l’affréteur principal serait la CIA…et qu’ils transportent autre chose que de l’aide humanitaire. Tous ces avions, dont la plupart étaient basés à Mombassa, amenaient des vivres, de la logistique, du courrier, des médicaments et assuraient les transferts de troupes. Coté belge, une rotation de C-130 entre la Belgique et Kismaayo est assurée tous les deux jours et, régulièrement le Hercules opérant depuis Mombassa amène du fret pour les militaires belges et les alliés.
Depuis l’aéroport kényan, les Hercules de la 20ème Escadrille assurent également des missions d’approvisionnement des populations somaliennes peu ou pas accessibles par la route, et font parfois un crochet par Kisimaayo. Assurant également des vols de liaisons ou d’évacuations sanitaires, une Alouette II de l’Aviation légère de la Force Terrestre est régulièrement présente sur le tarmac. La grosse surprise aura été l’arrivée bruyante d’un C-5 Galaxy qui a fortement secoué le paysage et…quelques tentes implantées près de la voie de roulage. transport peut emporter 136.080 kg de charge avec un rayon d’action de 5525 km. Les vivres et médicaments sont abrités dans un hangar bien gardé et le chargement des camions est surveillé. Après quelques jours dans cet environnement inhabituel, j’accompagne un vol vers Mombassa devenue plate-forme opérationnelle pour les avions de transport alliés. C’est l’occasion de faire un survol du port et de voir les campements militaires établis aux alentours.
Aux commandes du CH-12 le Major Jean-Luc Feuillen, vieille connaissance, qui fut un temps avec le Commandant Xavier Elleboudt présentateur du display C-130. Sur le tarmac, il y a, outre les Belges, quelques C-141 Starlifter et C-130 de l’USAF, dont une version gunship qu’on ne peut approcher, ainsi qu’un Transal français. Ici la vie est assez différente, les équipages logent dans un bel hôtel situé au bord de l’Océan Indien, avec tout le confort qui en résulte. Ce n’est pas un luxe superflus, les équipages ayant fort à faire lors des missions de largage de vivres dans les zones reculées et les atterrissages sur des pistes en latérite sont ardus et fatigants pour les pilotes. Le dernier mot revient aux mécanos qui opèrent à même le tarmac sous un soleil de plomb et des températures avoisinant les 40°. Remplacer un moteur dans ces conditions représente une grosse dépense d’énergie et de transpiration ! Le travail des loadmaster et du peloton RAVAIR détaché en Afrique n’est pas de tout repos non plus.
Premier détachement FAéB à Kismaayo |
Malheureusement l’heure du retour est arrivée et c’est en compagnie du Commandant JP. Hermand qui effectue ce jour sa dernière mission, avant une retraite bien méritée, que je rentre au pays par un long vol entrecoupé d’une courte étape à Héraklion en Crète. Le C-130 se posera vers 0heures35, après 14 heures de vol. Un reportage dont les multiples souvenirs, essentiellement humains, resteront gravés dans ma mémoire. La Force Aérienne est une grande famille, j’ai pu a l’occasion de cette mission mesurer la pertinence de cette affirmation. Good show folks.
(1)Restore Hope (Restaurer l’espoir)
Suite aux conflits entre chefs de guerre qui déstabilisent complètement le pays et la famine qui s’ensuit, l’ONU décide par la résolution 751 du 24 avril 1992 de créer une opération des Nations Unies en Somalie appelée ONUSOM. Elle sera composée de 960 personnes dont 53 à titre d’observateurs. La résolution 755 permet une extension de la mission mais ne renforce pas les effectifs. L’ONUSOM ne parvenant pas à rétablir la paix, la résolution 794 du 3 décembre 1992 entérine la création d’une force d’intervention sous autorité de l’ONU mais dont les troupes restent sous commandement autonome des Etats y prenant part, l’UNITAF (Force d’Intervention Unifiée). L’opération Restore Hope débute le 9 décembre 1992 avec le débarquement hyper médiatisé de quelques 25.000 militaires américains. D’autres nations, dont la Belgique, qui y enverra le 11 décembre 650 hommes (900 hommes en mars 1993) se joindront à cette force la portant à 40.000 hommes (30.000 US). Cela nécessita de la part des Belges de recouvrir l’emblème de l’ONU porté par les véhicules par les couleurs du drapeau national. Restore Hope sera arrêtée en mai 1993 réduisant à 2.000 le nombre de soldats placés alors sous le contrôle direct de l’ONU cela en parfaite conformité avec la résolution 814 votée le 8 mars 1993. Jamais, la paix n’a pu être rétablie en Somalie ; aujourd’hui encore les combats entres chefs de guerre y sont quotidien et la famine y règne toujours.
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