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Lundi 14 décembre 1992, Dans l'attente du feu vert américain pour aller rétablir l'ordre (d'ici la fin de la semaine?) à Kismayo

MOGADISCIO
De notre envoyée spéciale


Vite fait, bien fait. En une heure, les 120 premiers paracommandos belges, arrivés à 7 h 30, dimanche matin, en provenance d'Addis-Abeba, avaient réussi à vider en bon ordre les huit C-130 amenant en Somalie la 11e compagnie de Diest.

Les «marines», qui n'avaient offert qu'un créneau d'une heure, regardaient leur montre pendant que les paras belges déchargaient prestement 22 véhicules, plusieurs pièces d'armement, dont des mortiers de 60, des mitrailleuses, des armes individuelles, sans oublier les provisions, dont cinq litres d'eau par personne et par jour.

Les Belges ont eu raison de prévoir une certaine autosuffisance: les Américains, qui assurent le commandement de l'opération, arrivent à peine à organiser l'installation de leurs propres troupes au nombre de 4.000 à l'heure actuelle. Quant aux autres, ils arrivent en ordre dispersé, sinon dans le désordre: les Français n'ont pas encore de communications radio, la presse italienne cherche toujours la brigade San Marco et le colonel Peck, porte-parole américain de l'opération «Restore Hope», n'était même pas au courant de l'arrivée des forces qu'il appelle «alliées».

Le lieutenant pakistanais Muqeem, qui campe à l'aéroport depuis plusieurs mois, se réjouit ouvertement de l'arrivée des Belges et nous offre du thé et des gâteaux pour fêter cet événement tant différé: Depuis septembre, on les attendait. Et nous avions peur qu'ils renoncent, à l'instar des Autrichiens.

Quant aux paras belges, ils sont visiblement satisfaits de se retrouver enfin en terre africaine. Bon nombre d'entre eux gardent la nostalgie de l'opération «Blue Beam» menée au Zaïre en 91.


Le commandant Jacqmin, qui commande le détachement, nous fait observer que, la nature de l'opération ayant changé, les lettres UN qui avaient été dessinées sur les véhicules peints en blanc ont dû en dernière minute être dissimulées par un drapeau belge. Mais le drapeau est amovible: les militaires belges se trouvant en Somalie pour un an, ils repasseront sous l'autorité de l'ONU dès que l'opération américaine sera terminée.


Photographe: Theys Christian@DG Com
 Si les «marines» qui campent à l'aéroport vont de temps à autre prendre une douche sur le «US Tripoli», si les Français ont occupé d'autorité une rangée de conteneurs en bordure de piste, les Belges se sont vu assigner un espace désolé mais vaste: un hangar situé tout au bout du port de Mogadiscio, devant lequel passent les patrouilles américaines avec une régularité de métronome. Sitôt arrivés, nos hommes se sont installés. Ils ont récuré le sol crasseux, dispersé les flaques d'eau laissées par les dernières pluies, aligné leurs lits de camp. Les tâches domestiques ne les absorberont pas trop longtemps: dès lundi, nos soldats relaieront les «marines» qui assurent la sécurité du port et de l'aéroport. Ce qui permettra aux Américains de se déployer ailleurs.

Photographe: Theys Christian@DG Com
La surveillance du port et de l'aéroport n'est pas une simple routine. Samedi, les «marines» ont découvert un dépôt de munitions lourdes, soigneusement caché dans un avion démantibulé, échoué en bout de piste. Dès la saisie du stock, un Somalien visiblement sous l'empire du kat a violemment protesté contre le viol de sa propriété privée, et demandé une juste rétribution...

Dès son arrivée à Mogadiscio, le commandant Jacqmin s'est entretenu avec le général Johnston, commandant en chef de l'opération. Et ce dernier lui a exprimé sa satisfaction de voir enfin arriver des renforts européens. Les Américains tiennent en effet à faire apparaître l'intervention comme une opération conjointe, à laquelle participeront des Européens mais aussi des pays arabes comme le Maroc et, nous dit-on, l'Arabie Saoudite.

Nos paras ne devraient en principe pas rester longtemps à Mogadiscio. Leur destination finale est le port de Kismayo, où ils espèrent se rendre d'ici la fin de la semaine, rejoints alors par le reste des troupes prévu pour la Somalie. Mais ce programme risque de ne pas être suivi: la situation demeure très tendue à Kismayo, que se disputent les bandes rivales, où toutes les activités humanitaires, à part l'antenne de MSF, ont été suspendues. Avant que nos soldats puissent gagner par avion la petite ville du Sud, les «marines» devront ouvrir la voie, les Belges arrivant en deuxième vague.


China Beach, plage du Port de Kismayo, en face de l'ancienne Marine Base
où le détachement belge élira ses quartiers
 Ralph Standard, un solide paracommando de Diest, n'apprécie guère l'idée d'arriver à Kismayo après les Américains: Il faut rétablir l'ordre dans la ville, nous sommes parfaitement capables de le faire sans l'aide des «marines». Il devra peut-être attendre plus longtemps que prévu car, interrogé à ce sujet, le colonel Peck répond laconiquement: Laissez les Belges spéculer sur leur affectation finale. Rien n'est encore décidé.

La vérité, c'est que les Américains, à ce stade, gèrent d'abord leurs propres forces et suivent leur propre logique. C'est ainsi qu'ils se sont déployés dans la petite ville de Paladoglo, à cent kilomètres de Mogadiscio.
À Mogadiscio aujourd'hui, à Kismayo demain, les Belges ne tarderont pas à découvrir toutes les facettes de leur étrange mission: humanitaire, mais avec le doigt sur la détente.

COLETTE BRAECKMAN

Source: http://archives.lesoir.be/

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