Les «marines» sont à Mogadiscio. L'aide humanitaire s'organise. Le pont aérien est la grande affaire de ces prochains jours.
Il ne suffit pas de gagner une bataille, encore faut-il en organiser les conséquences, éminemment lorsque celles-ci sont humanitaires. En débarquant sur une plage de Somalie, les marines américains, avant-garde des forces internationales appelées par les Nations unies, avaient pour objectif de «rendre l'espoir» à un pays affamé et martyrisé. Au grand soulagement de Washington, la première phase, celle du débarquement, la plus délicate, s'est déroulée rapidement et les forces américaines contrôlent totalement Mogadiscio.
photographe: Theys Christian @ DG Com |
Cette première intervention «humanitaire armée» ne pouvait en aucun cas déraper et donner l'impression que le militaire prenait le pas sur l'humanitaire; tout devait être fait pour qu'il soit bien clair que, cette fois-ci, les armes étaient au service des plus faibles, des pauvres et des affamés. Aussi, alors même que les premiers nageurs de combat américains gagnaient la plage de débarquement, le secrétaire général des Nations unies précisait solennellement la mission de la force mandatée par l'ONU pour nourrir des populations mourantes: Ouvrir la voie à la reconstruction politique, économique et sociale du pays. Alors que l'effort militaire est engagé, précisait M. Boutros-Ghali, les Nations unies vont travailler aux solutions à long terme qu'il convient d'apporter aux problèmes de la Somalie en coopération avec son peuple. S'adressant précisément à ce peuple, le secrétaire général lui a lancé un message de solidarité au nom de la communauté internationale: Le monde refuse d'accepter votre souffrance et votre disparition. Désormais, cette solidarité doit jouer à fond, par l'arrivée des contingents internationaux et par l'organisation du pont aérien amenant les vivres.
Paras belges de la 11ème Cie du 1 Para sur la plage de Kismayo Photographe: Theys Christian @ DG Com |
Des légionnaires français sont déjà sur place. Des troupes italiennes partent ce soir. Et dimanche, l'avant-garde de 1.300 soldats canadiens arrivera en Somalie. Quant aux 587 paracommandos belges mis à la disposition des Nations unies, ils étaient hier en «pré-alerte» de 24 heures et l'on précisait, jeudi matin, de source militaire, que le départ des premiers d'entre eux pour Mogadiscio, via Djibouti, sans doute 120 hommes de la 11e compagnie néerlandophone du premier paracommando, aurait lieu au plus tôt vendredi soir. Le chargement de six avions de transport C-130 Hercules et d'un Boeing-727 débutera dans la journée de vendredi. Le lieu de déploiement des soldats belges serait Kismayo, sur la côte sud-ouest de la Somalie, où des affrontements entre bandes rivales ont encore fait 60 tués et 40 blessés dans la nuit de mardi, selon une responsable à Nairobi de Médecins sans frontière Belgique, Claire Gallois (13 membres d'organisations humanitaires ont été évacués mercredi midi de Kismayo par un avion du Programme alimentaire mondial).
Le pont aérien, quant à lui, est déjà lancé. Quelques heures seulement après le débarquement des soldats américains, les premiers avions gros-porteurs se sont posés. Dans une huitaine de jours, un important centre de distribution alimentaire sera installé à 300 kilomètres à l'ouest de la capitale. Les premiers soldats arrivés sur place et qui vont entamer un déploiement vers plusieurs villes, dont Kismayo et Bardera, seront rejoints par 10.000 hommes venus de Fort Drum, dans l'État de New York.
Ces gigantesques efforts ne seront pas superflus. Hier soir, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) estimait qu'en dépit de la mobilisation humanitaire, la Somalie connaîtrait encore «deux ou trois ans de famine», car une agriculture dévastée ne peut revivre rapidement. C'est dans ce contexte dramatique que le secrétaire général de l'ONU a annoncé, mercredi soir, un plan d'action en cinq étapes pour sortir la Somalie du chaos. Une réunion préparatoire pourrait s'ouvrir dès janvier à Addis-Abeba.
Enfin, pour les États-Unis, une nouvelle fois à la tête d'une opération internationale, des problèmes politiques se posent. Dès le 20 janvier, le président Clinton devra étudier les critères d'intervention militaire de son pays à l'étranger. Sans doute ne pensait-il pas devoir se consacrer si rapidement à la politique étrangère après avoir composé un programme intérieur fort copieux.
CHRISTIAN-GUY SMAL
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LE TEMPS DE «L'ESPOIR» À MOGADISCIO
La capitale de la Somalie a accueilli avec joie les premiers marines américains. Satisfaction et soulagement à Washington.
Fortement armés et le visage peint au noir de fumée, les marines américains ont débarqué sur la plage de Mogadiscio mercredi à l'aube, déclenchant ainsi l'opération humanitaire «Rendre l'espoir» autorisée par les Nations unies afin de sauver de la mort les populations de Somalie livrées à des clans de pillards.
Sans coup férir, les forces américaines se sont emparées de la capitale somalienne livrée depuis près de deux ans à la guerre civile. Les habitants de Mogadiscio ont accueilli avec joie les marines américains. Des mères sont venues voir avec leurs bébés les soldats en tenue de camouflage. De nombreuses jeunes femmes avaient revêtu leurs plus beaux atours.
À l'aéroport, la foule se pressait sur le tarmac pour voir les marines. On les désignait du doigt, on riait. Abdel Mohammed Arale a attendu trois jours à l'aéroport pour les voir: Je veux simplement les rencontrer et leur souhaiter la bienvenue, leur faire part de mon respect pour eux. Beaucoup, dans la foule, étaient pleins d'espoir. Ils vont nous amener la sécurité et une sorte de gouvernement et peut-être nous aurons quelque chose à manger, disait Adi Mohammed, un mécanicien, On est heureux qu'ils viennent.
Durant toute la journée de mercredi, le transbordement des troupes américaines, qui atteindront au total 28.150 hommes, s'est poursuivi par hélicoptères et par hovercraft entre les navires de guerre et le secteur compris entre l'aéroport et le port de Mogadiscio. Plusieurs destroyers et une frégate de la Navy participent à l'opération.
Dans la journée, les forces américaines ont été rejointes par les 120 premiers soldats français, en majorité des légionnaires, arrivés de Djibouti à bord de deux Transall et d'un C-130. Les forces françaises, qui devraient atteindre 2.100 hommes avant la fin de l'année, ont été reçues avec sympathie par de nombreux enfants qui, à l'aéroport, se sont mêlés aux militaires.
QUELQUES INCIDENTS ISOLÉS: UN OFFICIER DE L'ONU BLESSÉ
Les marines n'ont rencontré aucune résistance. Les clans armés qui se disputaient le contrôle de Mogadiscio depuis le renversement du président Siad Barre en janvier 1991 ne se sont pratiquement pas manifestés, à l'exception d'un tireur isolé qui a blessé un officier jamaïcain des Nations unies alors qu'il circulait en voiture dans Mogadiscio. Un autre responsable de l'ONU a dû laisser sa voiture à un homme armé. Une fusillade a par ailleurs opposé des parachutistes de la Légion étrangère à des inconnus dans la nuit de mercredi à jeudi, toujours dans la capitale, mais il n'y a pas eu de blessé du côté français. Les clans semblent donc avoir suivi dans l'ensemble les consignes données par leurs deux chefs de guerre rivaux après leur rencontre mardi avec l'envoyé spécial du président Bush, Robert Oakley. L'émissaire américain avait demandé au général Mohammed Farah Aïdid et au président par intérim Ali Mahdi Mohammed de ne pas mettre leurs armées en haillons sur le chemin des forces américaines. Les deux «seigneurs de guerre» ont promis leur entière coopération. Cela n'a pas empêché le premier officier américain à débarquer sur la plage, le sous-lieutenant Kirk Coker, de déclarer devant les journalistes: On nous a dit que le secteur pouvait être dangereux.
Un climat de nervosité est alors devenu perceptible. Les marines ont maîtrisé quelques Somaliens sans arme qui dormaient dans un hangar de l'aéroport. Au port, les marines sont arrivés en hélicoptère en tirant des rafales de mitraillette au-dessus des têtes de dizaines de journalistes auxquels a été intimé l'ordre de s'allonger par terre.
Aux États-Unis, peu après le débarquement, c'était le soulagement. Les sources officielles de Washington indiquaient que le président George Bush, visiblement satisfait, rappelait que l'objectif de «rendre l'espoir» était de diminuer le niveau de violence en Somalie.
LA PLUIE EMPÊCHE LE DÉPART DU PREMIER CONVOI D'AIDE
Le départ du premier convoi d'aide alimentaire sous la protection du contingent international, prévu initialement jeudi matin, a été reporté en raison de fortes pluies sur Mogadiscio.
Nous déciderons plus tard et en fonction du temps si nous pouvons monter cette opération vendredi, ont déclaré jeudi des responsables de l'Organisation non gouvernementale américaine Care, selon lesquels le convoi devait être placé «sous la double escorte» de deux véhicules de l'ONU, d'une part, et des marines, d'autre part.
Ce convoi devait être le premier à bénéficier d'une protection du contingent international.
Quelque 50 tonnes «symboliques», selon Care, de riz, haricots et huile devaient être convoyées, à bord de dix camions, vers le nord de Mogadiscio.
Les fortes pluies qui tombent sur Mogadiscio depuis mercredi soir sont la seule raison qui empêche ce convoi de quitter le port où se trouvent encore 10.000 tonnes d'aide alimentaire, ont précisé ces mêmes sources.
Selon Care, un nouveau départ pourrait être envisagé pour vendredi matin. (D'après AFP/AP.)
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L'ingérence médiatique
Certes, la presse est à sa place en Somalie. Elle n'a pas peu contribué à la sensibilisation, fort lente il est vrai, de l'opinion publique et de la communauté politique internationale au drame de ce pays. Et il lui revient d'observer jusqu'au détail l'ensemble de cette opération impressionnante, d'un type entièrement neuf, exemplative et dont le destin d'un peuple peut dépendre.
Le «show» que l'on a produit dans la nuit de mardi à mercredi sur la plage de Mogadiscio n'en a pas moins frisé l'indécence. Des marines hyper-camouflés, dotés d'équipements de vision de nuit, débarquant comme en plein champ de bataille... sous les puissants projecteurs des télévisions, aux meilleures heures d'écoute aux Etats-Unis: cela tenait de la farce. Orchestration hollywoodienne, ballets d'hélicoptères sur fond de mer dans les lueurs de l'aube, s'agissait-il de «rendre l'espoir» aux Somaliens ou bien à l'armée américaine et au Pentagone?
Marines américain filmé par les caméras de TV, au moment du débarquement de nuit sur la plage de Mogadischio. |
En l'occurrence, la présence massive des médias visuels n'a pas servi l'information. A grossir ainsi le trait, elle a travesti et escamoté une opération dont la nécessité n'est contestée par personne. Et il a fallu faire un effort, mercredi matin, pour aller voir au-delà du paravent des caméras de télévision et des objectifs des photographes qu'il s'agissait en fait de mettre fin à un enfer humain broyeur d'enfants et de femmes.
Au moment même où le spectacle se déroulait, le secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros-Ghali, rappelait à juste titre que l'action en cours vise à rétablir la sécurité, à permettre la distribution de l'aide et à faciliter la réconciliation du peuple somalien. La Force multinationale mandatée par les Nations unies a des objectifs simples et clairs, affirmait-il: nourrir les affamés, protéger les faibles, créer des zones de sécurité, ouvrir la voie au relèvement politique, économique, social du pays. Objectif légitime s'il en est. Mais cet exercice d'ingérence humanitaire, surtout à cette échelle, est à la fois très neuf et très délicat. Il requiert décence et retenue.
A l'évidence, l'exploitation médiatique du débarquement en Somalie n'aura pu que nuire, sur ce plan, à l'idée même qu'il était censé servir.
PIERRE LEFÈVRE
Sources des articles : http://archives.lesoir.be/
Sources des images: Internet
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