Histoire de guerres et de luttes claniques
Pourquoi la Somalie occupe-t-elle soudainement une place de choix dans les manchettes médiatiques du monde entier? Depuis plus de quinze ans, ce pays de la corne de l’Afrique est sans gouvernement central et est majoritairement contrôlé par des clans, des «chefs de guerre» se livrant une lutte territoriale sans merci. Pillage, vols, viols sont le propre d’une situation politique chaotique où règne la loi du plus fort depuis le renversement et la fuite en 1991 du dictateur Mohamed Siad Barré. |
Un soldat américain fume une cigarette à un poste de contrôle sur une route à l’extérieur de Mogadiscio, Somalie, le 8 décembre 1993. (Alexander Joe/AFP/Getty Images) |
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Or, voilà qu’en juin 2006, après plusieurs mois de combats contre une alliance de chefs de guerre soutenue financièrement par les États-Unis, une milice armée de l’Union des tribunaux islamiques (UTI) prend le contrôle de la capitale Mogadiscio puis de la majeure partie du centre et du sud du pays. C’est cette victoire de l’UTI sur les seigneurs de guerre de l’Alliance pour le rétablissement de la paix et contre le terrorisme (ARPCT) qui signait le retour de la Somalie sur le devant de la scène politique internationale.
Historique d’un conflit
Depuis sa création en 1960, la Somalie est le lieu d’incessants conflits armés. D’abord, face à son voisin éthiopien relativement au contrôle de l’Ogaden, soit une région éthiopienne où l’on retrouve plus de quatre millions d’habitants d’origine ethnique somalienne. La dispute territoriale entre les deux pays leur a servi de trame de fond à deux guerres en 1964 et en 1977, en plus de divers affrontements sporadiques ayant pris fin en avril 1988 avec la signature d’accords de paix. Toutefois, c’est principalement sous la forme de la guerre civile que ce pays à majorité musulmane sunnite a connu ses jours les plus noirs.
En 1969, un groupe de militaires conduit par le général Mohamed Siad Barré prend le pouvoir. La situation somalienne, reconnue comme ayant une importance stratégique en termes de stabilité régionale dans la corne de l’Afrique, est toutefois indissociable des politiques internationales. Elle dépasse largement la seule opposition entre factions et clans dans le cadre de la guerre civile.
En effet, la Somalie fut, comme plusieurs pays africains, fortement impliquée dans la guerre froide opposant les États-Unis à l’URSS. Les sécheresses, la grande pauvreté et le conflit avec l’Éthiopie amena la Somalie à se doter tour à tour du soutien de l’Union soviétique pendant les années 70, puis des États-Unis avec lesquels elle signa un accord de coopération militaire en 1980. Au cours des années 80, les États-Unis ont apporté une aide autant humanitaire que militaire à la Somalie, et ce, en échange de l’utilisation de l’ancienne base navale soviétique de Berbera, sur la côte nord du pays.
Renversement de Barré et guerre civile
En 1986, le général Barré est réélu, mais l’opposition se fait de plus en plus vive. En 1991, le président se doit de quitter le pays suite à son renversement par des clans rivaux. Depuis ce temps, la Somalie est privée de gouvernement central et se veut le lieu de luttes sanglantes entre des chefs de guerre rivaux. La chute du régime de Barré entraîne ainsi des centaines milliers de morts résultant autant des violents combats entre les factions rivales que de la famine et de la chute de l’économie.
Face à cette situation humanitaire des plus catastrophiques et devant l’évidente incapacité des belligérants de respecter un cessez-le-feu signé sous l’égide des Nations Unies en février 1992, le Conseil de sécurité de l’ONU décide de mener une opération militaire d’envergure (UNOSOM II) devant être conduite par les États-Unis. C’est ainsi que 28 000 soldats américains débarquent à Mogadiscio dans le cadre de l’opération Restore Hope (Ramener l’espoir), en décembre 1992.
L’opération se révéla un cuisant échec pour les Américains, dont les derniers soldats quittèrent la Somalie en mars 1994, défaite notamment suite à la mort de 18 de leurs soldats en octobre 1993. À la suite du retrait des troupes américaines et des forces onusiennes leurs ayant succédé, le pays tombe dans un état chaotique sans précédent.
La Somalie est divisée en plusieurs régions contrôlées par des factions militaires qui se combattent et la crise tend à sombrer dans l’oubli au sein d’une communauté internationale pansant les plaies de son intervention avortée. En 2000, après l’échec d’une douzaine d’accords de paix déjà, un gouvernement transitoire est mis sur pied par divers leaders claniques élisant du même coup Abdiqasim Salad Hassan à la tête de celui-ci.
Quatre ans plus tard, soit en janvier 2004, alors que le mandat de ce dernier tire à sa fin sans avoir apporté l’accalmie promise dans les hostilités, un accord entre les principaux chefs de guerre permet la création d’un nouveau Parlement de transition. C’est donc en octobre 2004, dans une quatorzième tentative depuis 1991 d’instaurer un gouvernement central, qu’Abdullahi Yusuf Ahmed, un commandant soutenu par l’Éthiopie, est nommé président somalien par la gente politique.
Union des tribunaux islamiques
Le gouvernement intérimaire s’est toutefois avéré incapable de rétablir l’ordre dans le pays et principalement dans la capitale, considérée comme l’une des villes les plus dangereuses au monde. Mogadiscio, contrôlée par divers chefs locaux plus soucieux du maintien de leur pouvoir que du bien-être d’une population qu’ils exploitent, n’est même pas assez sécuritaire pour héberger le gouvernement qui n’y exerce quasiment aucune influence, et qui réside à Baidoa, plus au nord.
C’est dans un tel contexte chaotique que le mouvement de l’Union des tribunaux islamique (UTI) voit le jour, soutenu localement par des hommes d’affaires désireux de voir l’ordre rétabli. En juin 2006, la faction armée de l’UTI prend le contrôle de Mogadiscio en vainquant l’alliance des chefs de guerre soutenue par les Américains ainsi que par le gouvernement transitoire et les Éthiopiens. Après la prise de la capitale, l’UTI a poursuivi son offensive pour finalement contrôler la majeure partie du centre et du sud de la Somalie. Les régions sous le contrôle de ce groupe islamiste ont bénéficié d’un certain retour à la stabilité, en partie grâce à l’instauration du système pénal islamique de la charia.
La chute de l’UTI
C’est en réponse à une prise de pouvoir par ce groupe, soupçonné par les États-Unis d’être un nid de terroristes du même type que celui des talibans d’Afghanistan, que l’Éthiopie a joint ses forces à l’armée du gouvernement transitoire pour renverser les tribunaux islamiques après plusieurs semaines de menaces réciproques.
Déjà, le mois dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU votait une résolution prévoyant l’envoi de 8000 soldats d’une force africaine de maintien de la paix dans le but de protéger le gouvernement transitoire face à l’UTI.
La récente invasion de la Somalie par les troupes éthiopiennes venues appuyer le gouvernement transitoire a permis de renverser l’UTI, dont la croissante puissance effrayait au plus haut point autant les États-Unis que leur protégé, le voisin éthiopien. Il semble en effet que l’Éthiopie recherche la stabilité, toutefois pas au prix de la voir imposer par un groupe considéré comme une menace régionale.
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